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— Non, reprit encore mon confrère, de plus en plus confus ; il est resté à Londres.

— Et vous ne l’avez pas fait réintégrer chez vous ?

— Permettez, mon cher maître… La chose n’était pas si simple… D’abord il menaçait de se tuer.

— Lui ? ce lâche ? un suicide ? allons donc !

— Puis, continua Blandling, sans s’arrêter à mon interruption indignée, il avait juré de faire un mauvais parti à quiconque essaierait de le reprendre.

— Oui-da ?

— Et enfin, s’il faut tout vous dire, j’ai conçu moi-même quelques doutes sur la légitimité…

— Quoi ! m’écriai-je sans le laisser achever, vous doutez de la folie de Tremlett,… de sa folie irrémissible, irrécusable ?…

— Je n’en doute pas, si vous voulez, reprit Blandling de plus en plus embarrassé ; pourtant,… devant un tribunal,… à foi et à serment,… s’il me fallait établir…

— Laissons cela, interrompis-je, plus impatienté que je ne voulais le laisser voir. Vous dites qu’une enquête va s’ouvrir. À la requête de qui ? Est-ce que mistress Tremlett ?…

— Elle n’est pour rien dans tout ceci. Le procès sera pourtant soutenu dans son intérêt (à ce qu’il prétend du moins) par un cousin-germain de Tremlett, M. Mainwaring.

— Voilà un cousin bien chevaleresque.

— Pas déjà tant ! reprit Blandling avec une espèce de sourire qui pour la première fois dérida sa physionomie consternée. Ce monsieur est le plus proche héritier du domaine.

— Comment ? Tremlett n’a-t-il pas un fils ?

— Enlevé à sa mère il y a six semaines…

— Ah ! je commence à comprendre. Le fils mort, le père déclaré fou, la dévolution du domaine à l’héritier substitué s’opérerait de plein droit…

Vingt-quatre heures plus tard m’arriva la seconde visite dont je vous parlais. M. Mainwaring lui-même venait tout bonnement s’enquérir de mon opinion personnelle sur le compte de son cousin, et je crois aussi, — Dieu me pardonne si je porte ici un jugement téméraire, — tâter le terrain pour voir s’il ne lui serait pas possible de se la rendre décidément favorable. Il y eut entre nous, à mots couverts, une conversation des plus serrées, où j’éludai tous ses efforts pour deviner ce que je pensais, tandis qu’il manœuvrait pour me faire comprendre qu’il était disposé à récompenser magnifiquement l’aide que je pouvais lui prêter. Je ne me souviens plus des mots que nous changeâmes en prenant congé l’un de l’autre, mais