Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caressés par leurs gardiens, j’en fus réduit peu à peu à me charger à peu près seul de Tremlett, devenu insupportable à quiconque, l’étudiant de près, apprenait à le connaître.

Les soucis continuels qu’il me donnait, le temps qu’il me faisait perdre, ma ferme conviction de l’avoir rétabli autant qu’il pouvait l’être, me firent accueillir avec empressement, au bout de cinq ou six mois, les ouvertures de mistress Tremlett, qui me demandait si un changement d’air, de situation, de traitement, ne pourrait pas être utile à son mari. Il s’offrait une occasion de le placer sous la tutelle d’un médecin expérimenté, lequel s’en chargeait par pur intérêt pour la famille, et qui, n’exerçant plus sa profession depuis quelques années, se consacrerait exclusivement à ce malade. Outre qu’il est fort délicat de rejeter une insinuation de ce genre, j’avais de Tremlett littéralement par-dessus la tête, et n’étais que trop porté à saisir l’occasion de me débarrasser de lui sans encourir aucun blâme. Je consentis donc avec empressement à cette nouvelle combinaison, et ne m’en repentis que trop tard, lorsque je sus le nom de l’obligeant confrère entre les mains duquel j’avais à remettre mon odieux client.

De plus honnête homme, il n’en est guère ; il n’en est guère, en revanche, de plus faible, de plus accessible aux vains scrupules d’une humanité mal entendue, de moins apte par conséquent à dompter un malade comme Tremlett. Je connaissais Blandling, je savais quelles timidités innées, quelles répugnances instinctives l’avaient amené à ne plus pratiquer, et je prévis que les choses tourneraient mal ; mais ce n’était plus mon affaire, et j’en avais assez d’autres pour ne point me trop préoccuper de celle-ci. De loin en loin seulement, je m’informais de mistress Tremlett, qui vivait seule, avec son enfant, dans une de ces petites villas si nombreuses autour de Londres.

Je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis un certain temps, lorsqu’il y a deux mois je reçus, à vingt-quatre heures d’intervalle, deux visites ayant trait à mon ancien client : l’une, la première, de mon très honoré confrère Blandling, plus ému, plus bouleversé que je ne l’avais jamais vu. Il venait m’apprendre qu’une enquête allait s’ouvrir sur l’état mental de Lawrence Christopher Tremlett, et que ce procès, annoncé déjà par quelques journaux, aurait, selon toute apparence, le retentissement le plus scandaleux.

— Une enquête, un procès ? m’écriai-je ; Tremlett n’est donc plus chez vous ?

— Non, répondit Blandling, baissant les yeux avec quelque embarras ; il s’est évadé il y a six mois.

— Aurait-il quitté l’Angleterre ?