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meilleure humeur : — M. Tremlett, me répondit-il, est aujourd’hui aussi heureux que possible ; il a entendu dire que M. Dowlas venait de perdre son père et qu’il s’en chagrinait outre mesure. Rien ne pouvait l’égayer davantage…

Nous le surprîmes, quelques jours plus tard, blasphémant auprès d’un de nos patiens, dont la folie était de se croire promis aux flammes d’enfer, et tâchant de lui persuader que, pour avoir prêté l’oreille à ces énormités, sa damnation était plus que jamais irrévocable. Volontiers se fût-il montré bien autrement cruel vis-à-vis de ses compagnons de captivité, s’il n’avait été d’une couardise poussée au-delà de toute croyance. Il aimait en revanche à lancer mon bouledogue après les chats, et, plusieurs de mes poules ayant été mystérieusement étranglées, j’eus tout lieu de penser qu’elles avaient péri de ses mains. Il le niait effrontément, mais la mortalité cessa dans le poulailler dès que j’eus mis ordre aux visites qu’il y pouvait faire. Il s’en consola, le printemps venu, en dressant des pièges où les moineaux francs venaient se prendre : il leur tordait le cou, lorsqu’il les tenait, avec un indicible plaisir ; mais je n’eus qu’un mot à dire pour qu’il renonçât à ce délicieux passe-temps.

Chose étrange, mais que je constatai par plusieurs épreuves successives, il y avait dans sa folie, à coup sûr bien réelle, des portions purement fictives. Cet insensé jouait à beaucoup d’égards la manie. Par exemple il s’était mis à hurler, de temps à autre, quand on le laissait seul dans sa chambre, cessant d’ailleurs aussitôt qu’on entrait, et opposant à mes reproches les dénégations les plus formelles. — Soit, lui dis-je un beau jour, fatigué de ces mensonges ; mais de tels cris, proférés aussi près de vous, doivent vous gêner. Je vous ferai loger ailleurs… — Cette menace suffit. Tremlett tenait à sa chambre, une des plus belles de l’établissement. Les cris ne se firent plus entendre.

Il m’obéissait avec une affectation de zèle et de cordialité qui, après m’avoir paru suspecte, finissait par me gagner le cœur, lorsque j’appris que ce prisonnier, si résigné à l’injustice dont il se disait victime, si heureux des bons traitemens par lesquels on tâchait de le dédommager, disait de moi pis que pendre à son gardien spécial, tout en essayant de gagner cet homme, dont il eût voulu faire le complice de l’évasion qu’il préméditait. En somme, rien de moins sympathique, ou, parlons nettement, rien de plus rebutant que cette nature pervertie, hypocrite, sournoise, toujours voilée et toujours menaçante, perfide et lâche, menteuse et féroce. Mise à nu par une surveillance de tous les momens et par des épreuves sans cesse réitérées, elle faisait horreur à tous, et tandis que la plupart de mes infortunés hôtes, sensibles à la moindre bonne parole, au moindre affectueux regard, au plus léger présent, étaient volontiers choyés,