Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un petit intérêt temporaire, qui peut se dissoudre à la convenance des parties. Il doit être regardé avec plus de révérence, parce que ce n’est pas une association qui ne sert qu’aux choses utiles à notre existence animale, d’une nature temporaire et périssable ; c’est une association dans les sciences, une association dans les arts, une association dans toute vertu et toute perfection, une association non-seulement entre les vivans, mais entre ceux qui vivent, ceux qui sont morts et ceux qui ne sont pas encore nés. »

Aujourd’hui une certaine école paraît trouver tout simple que les états confédérés brisent l’union, parce que le tarif Morill ne convient pas à leurs intérêts. À entendre l’organe le plus important de la presse anglaise, « le tarif Morill assimile les États-Unis aux nations les plus rétrogrades du monde. » M. Michel Chevalier l’a même comparé, dans un discours tenu en Angleterre, aux ichthyosaures, aux ptérodactyles, et à tous les animaux les plus monstrueux des époques antédiluviennes. Je ne suis nullement disposé à défendre le tarif Morill, bien qu’en le parcourant je ne l’aie pas trouvé beaucoup plus protecteur que le nouveau tarif franco-anglais. Ce que je veux prouver, c’est que le tarif n’est point la cause de la guerre : il y a eu depuis dix-neuf ans jusqu’à quatre tarifs différens adoptés par le congrès américain : le tarif Morill a été un expédient politique, un sacrifice fait par le parti républicain pour obtenir les voix de l’état de Pensylvanie, qui dans l’élection précédente avait, en se portant du côté du candidat démocrate, empêché l’élection de M. Frémont. Que ce tarif soit mauvais, j’en conviens ; mais les inconvéniens d’un système douanier dans un pays libre et qui se gouverne lui-même ne peuvent être que temporaires : les maux causés par la sécession et la guerre civile sont irréparables.

Comment d’ailleurs admettre que le sud ait pris les armes contre les nouveaux droits, quand il était en son pouvoir d’en empêcher l’adoption ? Le parti républicain avait la majorité dans la chambre des représentans, mais il était en minorité au sénat. Le sénat pouvait rejeter le tarif, mais les sénateurs sécessionistes, en se retirant, abandonnèrent volontairement la majorité à leurs adversaires. Les hommes d’état du sud pouvaient encore facilement obtenir de M. Buchanan d’opposer au tarif le veto présidentiel ; M. Buchanan leur avait-il jamais refusé quelque chose ? Ils se gardèrent bien de mettre le tarif à néant ; ils tenaient à tirer profit des sentimens qu’il devait provoquer en Angleterre. Si les économistes sont disposés à sacrifier le grand principe de la liberté du travail à celui du libre échange, il faut du moins qu’ils renoncent à voir des adeptes bien ardens parmi les hommes politiques des états confédérés. La Louisiane a toujours su faire protéger son sucre. Le tarif le plus protectioniste que l’Amérique ait jamais eu, celui de 1842, fut au dernier moment