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à cette règle : dans les comtés du nord et de l’est, où il y a peu d’esclaves, il y a peu de sécessionistes ; dans les autres, où ils sont nombreux, on se prononce pour la « neutralité, » ce qui n’est qu’une forme de la trahison. Dans le Missouri, la ligne de démarcation est nettement établie entre le travail libre et le travail servile. Les Allemands détestent l’esclavage, et forment le noyau le plus fidèle de l’état ; les unionistes anglo-saxons sont plutôt en faveur de la neutralité, tandis que les maîtres d’esclaves sont en armes contre l’Union. Il y a quelques sympathies pour l’Union jusque dans le Texas occidental, parce qu’on y voit peu d’esclaves et beaucoup d’Allemands. Quel est l’état sécessioniste par excellence ? C’est la Caroline du sud, qui contient relativement plus d’esclaves que tous les autres états. Dira-t-on encore que la défense de l’esclavage n’est pas la cause des sécessionistes ? S’il reste des doutes dans quelques esprits, qu’on écoute donc le propre témoignage des gens du sud.

Les confédérés ne se sont point donné la peine de faire de grands changemens à la constitution des États-Unis ; ils ne l’ont guère modifiée, pour l’adapter à leur nouvelle union, que sur les points relatifs à l’esclavage. Comment s’exprime à cet égard M. Alexander Stephens, vice-président du sud ? « La nouvelle constitution a mis fin pour toujours à l’agitation relative à nos institutions particulières : je veux parler de l’esclavage, tel qu’il existe parmi nous. Cette question a été la cause immédiate de la rupture et de la présente révolution. Jefferson, dans sa prévoyance, avait prédit que c’était là l’écueil sur lequel l’Union devait sombrer. Il avait raison. Ce qui était pour lui une conjecture est maintenant un fait accompli ; mais on peut douter qu’il comprît entièrement la grande vérité sur laquelle repose notre nouvelle constitution. Pour lui, comme pour presque tous les principaux hommes d’état du temps de l’établissement de l’ancienne constitution, l’esclavage de l’Africain était une violation des lois de la nature ; ils le croyaient mauvais en principe, socialement, moralement, politiquement. C’était un mal qu’ils ne savaient comment guérir ; mais l’opinion générale parmi les hommes de ce temps était que, d’une façon ou d’une autre, cette institution était, dans l’ordre de la Providence, destinée à disparaître. Cette idée, bien que non exprimée dans la constitution, était l’idée prédominante de l’époque. La constitution, il est vrai, assurait toutes les garanties essentielles à l’institution tant qu’elle durerait, et l’on ne peut justement se prévaloir, pour attaquer ces garanties, du sentiment public de cette époque ; mais ce sentiment et ces idées étaient fondamentalement erronés : ils reposaient sur la croyance à l’égalité des races. C’était là une illusion. Le nouveau gouvernement est fondé sur une idée exactement contraire ; il a pour fondation, pour pierre angulaire, cette grande vérité : le nègre n’est