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égaler en violence tout ce qu’on peut attendre de deux peuples animés d’une inimitié historique et séculaire. L’Europe assiste avec étonnement à ces déchaînemens de la guerre civile, et attend que les événemens résolvent ses doutes.

Au point de vue militaire, le moment n’est pas encore venu de raconter cette guerre, à peine commencée, semée d’alternatives nombreuses de succès et de défaites ; mais derrière les drapeaux et les armées il y a des principes, des idées. La guerre actuelle n’est que le dernier, le sanglant épisode d’une lutte politique et morale qui remonte à bien des années, et qui a laissé sa trace dans l’histoire entière des États-Unis. Cette lutte de principes domine la lutte armée : connaître les causes de la guerre, en faire entrevoir les objets, c’est montrer où est le bon droit, la cause qui appelle les sympathies libérales, les dévouemens chevaleresques ; c’est aussi dire de quel côté la victoire se rangera dans l’avenir, quelles que soient les vicissitudes et les angoisses de l’heure présente.

Deux questions fondamentales divisent les combattans, la question constitutionnelle et la question de l’esclavage. Sur l’un des drapeaux, on lit : sécession ; sur l’autre : union. D’un côté, on revendique pour les états le droit de se retirer à leur gré de la fédération, de l’autre on prétend que la souveraineté ne réside que dans le pouvoir fédéral, et que les états ne peuvent se soustraire à leurs obligations envers l’Union. Essayons d’exposer nettement les termes de ce débat, de montrer sur quelles théories le sud et le nord appuient leurs prétentions contraires. Ainsi observée dans l’ordre intellectuel et moral, la guerre américaine ne s’offre pas à l’Europe sous son aspect le moins instructif ni le moins saisissant.


I

Qu’est-ce d’abord que le droit de sécession ? Repose-t-il sur une interprétation exacte de la constitution américaine, ou est-il contraire à cette constitution, en opposition avec les idées de ceux qui l’ont fondée, interprétée, appliquée jusqu’à ce jour ? Le principe même du gouvernement fédératif est engagé dans cette grave question. « Il y a, écrivait Montesquieu, une grande apparence que les hommes auraient été obligés de vivre toujours sous le gouvernement d’un seul, s’ils n’avaient imaginé une manière de constitution qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain et la force extérieure du monarchique. Je parle de la république fédérative. Cette forme de gouvernement est une convention par laquelle plusieurs corps politiques consentent à devenir citoyens d’un état plus grand qu’ils veulent former. C’est une société de sociétés qui en font une nouvelle qui peut s’agrandir par de nouveaux associés qui se