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— il me semble que si j’avançais d’un pas, je les toucherais de la main. — Rien, rien ne me fait plus souffrir ! — Oh ! que je les regarde, que je les regarde à satiété !


XXIV

On dirait que les délibérations commencent. — Toute cette plaine vivante couverte de têtes humaines s’agite d’un seul mouvement gigantesque, comme un champ d’épis sous le souffle du vent. — Au-dessus des rangs de têtes s’élèvent partout les rangs innombrables des bras qui désignent tous le côté septentrional de l’horizon, — et ces milliers de bras tendus semblent donner un ordre muet. — Oh ! qu’elle est superbe cette troupe de cavaliers qui se détache de la multitude se dirigeant vers le nord ! — Ce sont mes frères de la Pologne et de la Lithuanie. — L’assemblée de la nation est restée en arrière, — elle disparaît, — je ne vois devant mes yeux que l’immensité et cette troupe de guerriers. — Oh ! comme leur course est rapide ! Pareils aux éclairs, ils traversent les collines et les vallées, — ils courent vers le nord. — Je vous salue, anges de ma délivrance. — Les couleurs nationales, blanc et amarante, ornent vos vêtemens ; — les sabres étincellent dans vos mains comme les foudres de l’action, — et, oiseaux de Dieu, vous fendez l’air si fièrement, si triomphalement à travers les steppes moscovites ! — Ni le tsar ni aucun Satan ne prévaudront plus aujourd’hui ! — O mes aigles, vous volez vers moi !


XXV

Sur cette vaste étendue, que de temples impies élevés pour le culte du tsar-dieu, — que de forts bâtis avec des pierres cimentées de sang humain, — que de prisons vous rencontrez sur votre chemin ! — Je vois, vous vous arrêtez devant chaque lieu de détention, et, mettant pour un instant pied à terre, vous ordonnez aux gardiens, d’un signe surhumain, irrésistible, de vous conduire dans ces tombeaux souterrains. — On entend le cri de la vie dans ce sépulcre de la mort. — De nombreuses victimes, semblables aux ombres, revoient le jour, délivrées par vous. — Et le souffle de Dieu vous pousse de nouveau en avant, en avant !…


XXVI

À la clarté du jour ou pendant les ténèbres de la nuit, mon œil suit votre course rapide, incessante. — Quel bonheur ! Ayant dépassé les terres noires, vous êtes entrés déjà dans mes blanches plaines de neige. — N’est-ce pas que l’aspect du monde est changé ? — Ici, c’est le domaine du froid, des glaces, des frimas, de la mort éternelle ! Mais, par Dieu ! les rayons qui jaillissent de vos fronts font resplendir d’une lumière éclatante cette contrée déserte.