Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refroidissait aussi, — et aujourd’hui ils m’ont sans doute tout à fait oublié, moi qu’on enterra sous cette voûte noire pour me punir d’avoir, fils de la lumière, chanté jadis pour mon pays en semant la parole dans les cœurs des hommes, afin qu’elle pût se changer en fleur d’inspiration pareille à la mienne !


II

J’ai été fier, — mais fier envers les hautains : — fâcheux caractère pour réussir dans le monde ! — Frappe les gens qui sont à terre, tu en recueilleras des profits ; — mais si tu t’avises de braver l’arrogance des oppresseurs, si avec ton regard d’homme tu les considères comme un troupeau de brutes, — une terrible vengeance de ces brutes t’attend, et toi, homme, tu seras enchaîné par elles.


III

Les premières années de ma vie se sont écoulées rapidement comme les esquifs qui glissent sur l’eau, comme les aigles qui traversent les espaces. — Malheureux ! je ne prévoyais pas alors où m’emportaient ces flots, — car le soleil brillait encore au-dessus de moi, — chaque instant du jour s’épanouissait comme une fleur de printemps, — dans mes semblables je ne voyais que sœurs ou frères, — et ce monde, aujourd’hui si sourd à mes plaintes, était le paradis de ma jeunesse !


IV

Où est cet ange qui, après les épreuves du martyre et l’heure de la mort, le troisième jour marqué pour la résurrection, brise la pierre du tombeau ? Il délivre les dieux et non pas les hommes ! Où est ce second messager du ciel, qui, la nuit, arrachant les verrous des portes mamertines, enlève les saints du Seigneur d’entre les mains des bourreaux ? — Mais moi, je ne suis pas un élu, — et aujourd’hui ce sont d’autres temps ! — Le bras de l’ennemi est plus dur que celui de la mort, — car il te saisit encore vivant et te tient dans un cercueil d’où ton intelligence ne ressuscitera pas !


V

Car entre les quatre murailles de la prison, ton esprit, hôte ailé de l’infini, qui rêvait jadis des destinées demi-célestes, se sentira tellement orphelin, — que tu t’éprendras d’un amour fraternel pour une araignée et que tu supplieras le bourreau pour entendre le son de la parole humaine. — Et lorsqu’après bien des jours, des mois et des années, aucun espoir ne viendra te visiter, — ton esprit s’abîmera dans le néant.