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communication avec l’Angleterre en payant tribut ou en souffrant des visites en pleine mer, il perd la protection de son pavillon et tombe dans la catégorie des choses saisissables.

Applicables à tous les pays soumis à la domination française, soit par conquête, soit par alliance, les décrets de 1806 et de 1807 furent exécutés à la rigueur et avec une sorte d’ostentation. Des corps spéciaux de douaniers marchèrent à la suite de nos troupes victorieuses : ils flairaient les contraventions, fouillaient les maisons et les comptoirs, saisissaient sans contrôle et sans recours les marchandises proscrites. On donnait à la destruction de ces richesses la solennité d’un auto-da-fé, car la volonté du conquérant inspirait une sorte de superstition. Sur la place publique, où étaient amoncelés les articles saisis, on allumait un grand bûcher. Venaient les troupes pour former la haie circulaire, et les autorités civiles et militaires qui prenaient place sur une estrade. Au signal donné par les tambours, les douaniers s’abattaient sur les caisses et les ballots, montraient au peuple les articles condamnés, et les lançaient dans les flammes. Les objets incombustibles étaient brisés à coups de massues. Des scènes de ce genre eurent lieu pendant trois ou quatre ans, surtout dans les places maritimes du continent européen. La Hollande, restée sans protection après l’abdication du roi Louis, fut particulièrement maltraitée.

Ces procédés, si sauvages qu’ils nous paraissent invraisemblables, n’excitèrent point tout d’abord une réprobation marquée ; ils étaient conformes aux idées du temps, je le répète, parce qu’il est bon de constater les progrès de la raison publique. Au début du système continental, les grands manufacturiers des pays soumis à la France trouvaient assez juste que la perfide Angleterre fût mise dans l’impossibilité de leur faire concurrence, et quant au vulgaire, dans la foule des gens affamés et déguenillés pour la plupart qui faisaient cercle pour voir brûler des étoffes et des alimens, on répétait sans doute cette parole du maître : qu’on allait « conquérir les colonies par la terre. » Bientôt cependant on s’aperçoit que la vitalité européenne s’arrête. L’Angleterre, qui tient la mer, conserve encore la ressource des échanges lointains ; les peuples continentaux sentent la paralysie qui les envahit. Tout commerce extérieur devenant contrebande et ne s’effectuant plus qu’à travers des périls, le fret, les assurances, le change, subissent des oscillations violentes. Les produits indigènes, qu’on ne peut plus échanger, s’accumulent dans les ports et y sont offerts à vil prix, tandis que d’autres objets, qu’on ne reçoit plus de l’étranger, manquent à la consommation. Les industriels eux-mêmes, ne pouvant plus compter sur le renouvellement des matières premières, sentent que leurs spéculations n’ont plus