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ner quelque inquiétude aux Anglais. Il s’était en outre appliqué à répandre des notions, nouvelles alors, sur l’économie des manufactures, et l’un des premiers chez nous il a exposé que les machines équivalent à un accroissement de population et de richesse agricole égal au nombre des hommes et des chevaux qu’elles remplacent. Où devait aboutir tant de zèle ? Périer lui-même l’a dit avec tristesse dans un opuscule publié en 1810. L’Angleterre à cette époque possédait plus de cinq mille machines à vapeur ; la France n’en avait pas deux cents, y compris celles qui étaient établies dans certaines mines d’après les anciens modèles de Bélidor, et la France de cette époque comprenait la moitié du continent européen. Les machines perfectionnées n’étaient introduites que dans les usines du gouvernement ou dans de grands charbonnages : l’industrie particulière en était presque généralement dépourvue.

On ne s’était pas encore avisé de dire à cette même époque que le charbon fossile manquait à la France. On avait au contraire constaté des gisemens nombreux dont on se plaisait à vanter la richesse, et comme les charbonnages belges et rhénans faisaient concurrence à ceux de l’ancien territoire, comme la houille n’était protégée par aucun tarif, elle se vendait alors bien meilleur marché qu’aujourd’hui. Les procédés d’extraction étaient en général fort imparfaits ; mais à quoi aurait-il servi de les améliorer ? La métallurgie s’obstinait à repousser l’emploi de la houille dans le traitement du fer ; l’industrie manufacturière n’éprouvait pas le besoin des machines à vapeur : Fulton, mal compris en France, s’était éloigné avec un amer chagrin. Le trafic des charbons étant très faible, il n’y avait pas de raison pour ouvrir ces canaux navigables qui provoquent les affaires de tout genre par l’extrême bas prix des transports.

À part cette indolence, qui est naturelle aux privilégiés, il ne manquait pas d’autres causes pour paralyser l’esprit d’entreprise. Le crédit monopolisé venait fort peu en aide au commerce, et le spéculateur vivait dans l’appréhension de voir toutes ses combinaisons renversées par quelque coup de tête, non-seulement en politique, mais eu matière d’administration. Les métaux monétaires, expulsés par les assignats, ne rentraient que fort lentement, parce que les expéditions de marchandises à l’extérieur avaient peu d’importance. Ils étaient d’ailleurs réexportés en grande partie et semés sur les champs de bataille par la nécessité de payer en argent les achats qu’il faut faire sur place en temps de guerre. Avant la fameuse campagne de 1805, au moment même où la grande industrie cherchait à se constituer, le 5 pour 100 consolidé variait de 50 à 60. Le trésor battait monnaie pour ses divers services en négociant à 10 ou 12 pour 100 d’intérêt les obligations souscrites par les