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demment désirée ne tarda pas à tromper toutes les prévisions. Les tisseurs, à qui l’on demandait des toiles fines pour l’impression, avaient besoin des numéros élevés que nos filateurs ne prenaient plus la peine de produire. Les imprimeurs, tout en conseillant l’exclusion des toiles peintes, se plaignaient des taxes qui repoussaient les beaux tissus blancs. Les articles dont on avait besoin étaient introduits comme par le passé ; seulement dans cette importation très considérable encore, puisqu’on l’évaluait à 120 millions, la contrebande jouait un grand rôle. Bref nos industriels n’étaient pas satisfaits. Leur idéal avait toujours été la prohibition absolue, et ils ne se lassaient pas de la solliciter. Une nouvelle concession leur fut faite en 1806 : on porta à 7 francs par kilogramme la taxe sur les fils de coton sans distinction pour le degré de finesse, et la prohibition fut prononcée à l’égard des tissus blancs ou imprimés, des mousselines, basins, piqués, couvertures et articles analogues.

Le gouvernement impérial, qui avait de grands besoins d’argent, comprit qu’il se privait d’une ressource par les exclusions qu’il venait de prononcer. Il lui sembla tout simple de se dédommager en imposant la matière première, qui avait été à peu près affranchie jusqu’alors. Les producteurs n’étaient pas autorisés à se plaindre puisqu’on les avait garantis contre la concurrence étrangère. Quant à la consommation intérieure, on ne croyait pas qu’elle dût être amoindrie par la taxe dont on allait faire l’essai. Ce genre de fabrication, j’en ai déjà fait la remarque, n’était pas considéré alors comme un moyen d’économie pour la multitude. Tandis que les Anglais s’appliquaient à généraliser l’usage des cotonnades en les appropriant aux besoins les plus vulgaires, les Français en faisaient un objet de fantaisie coquette. Dans un rapport destiné à résumer une espèce d’enquête commerciale faite par M. Beugnot, qui était alors préfet de Rouen, il est dit que « les toiles de coton sont un degré de luxe supérieur à celui des étoffes de soie, » et le poétique préfet ajoute, dans un style qui porte la date de l’époque : « La petite maîtresse chérit ce tissu pour la fidélité de la draperie, et parce qu’en recouvrant le nu autant que la décence l’exige, il ne le dissimule pas plus que le goût ne le permet. » Le coton en laine coûtait alors à peu près 5 francs le kilogramme, et recevait par la fabrication une valeur moyenne de 25 francs. Le gouvernement se crut sans doute modéré en imposant pour commencer 66 centimes par kilo cette matière considérée comme plus précieuse que la soie. On restituait d’ailleurs la somme perçue par le fisc en cas d’exportation, et c’est ainsi que le système des drawbacks fut introduit dans notre régime commercial.

À ce moment, il entrait sans doute dans les vues politiques de