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nistre, et elle en confia la rédaction à un de ses principaux représentais, le célèbre Robert Owen, qui venait de fonder les grands établissemens de Lanark. L’argument sur lequel on insiste dans cette pièce se rapporte précisément aux progrès de la filature française. On y cite avec une espèce de terreur un mécanicien des plus habiles, Périer[1], qui a combiné un métier de son invention avec une machine à vapeur, et qui obtient des cotons filés à raison de 3 shillings la livre, tandis que le prix moyen de l’Angleterre dépasse 5 shillings. La conclusion est que l’énorme bénéfice réalisé par Périer va faire surgir en grand nombre les filatures françaises, au grand péril des établissemens britanniques. — On sait bien qu’il ne faut pas prendre à la lettre les doléances des commerçans, quand ils se croient menacés par une innovation fiscale. Personne ne croira qu’en 1801 les fabriques de Glasgow et de Manchester aient été si près d’être vaincues par les nôtres ; mais il est au moins permis d’admettre, d’après les calculs de Robert Owen, que nos fabricans de fils et de tissus n’avaient pas un pressant besoin de protection. Il y a plus, au moment même où ceux-ci réclamaient comme un droit l’exploitation exclusive du marché national, ils se glorifiaient de n’avoir à redouter aucune rivalité. « Pour les filés, écrivait en 1802 la chambre de commerce de Rouen, nous sommes en possession des meilleurs procédés connus. Si la fabrication anglaise possède quelque supériorité pour les tissus de cotons fins, cet avantage ne s’étend pas aux toiles communes, aux mouchoirs, chemises, etc., dont la fabrication est très considérable, et pour laquelle nous ne craignons aucune concurrence. »

Une seule chose a manqué à la France pour élever tout d’abord son industrie au premier rang : l’emploi des machines à vapeur. Périer, malgré son ardent prosélytisme, n’a pu provoquer dans le vaste empire français que six établissemens d’après le type qu’il avait conçu. Nos capitalistes avaient-ils donc besoin de s’ingénier à perfectionner les machines et les moteurs, puisqu’ils allaient réaliser de gros bénéfices en se laissant glisser tout doucement sur la pente de la routine ? Le 28 avril 1803, une taxe de 4 à 6 francs le kilogramme fut frappée sur les cotons filés venant des pays avec lesquels la France n’était point en guerre. Les toiles devaient payer, en sus du droit sur les fils, autant de fois 5 centimes qu’il y avait de mètres carrés par kilogramme ; enfin, lorsque ces toiles étaient peintes ou imprimées, la taxe sur le blanc s’augmentait de 50 centimes par mètre carré pour une seule couleur, et de 1 franc lorsque plusieurs couleurs étaient combinées dans le dessin. Cette loi si ar-

  1. C’est le membre de l’Académie des Sciences nommé plus haut.