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employés, ses fournisseurs, et j’imagine une sorte d’éblouissement non moins utile au prestige du premier consul que la victoire de Marengo.

Ce grand succès financier devait être payé assez chèrement, à mon avis du moins. Après avoir créé un papier de banque, on voulut avoir une banque pour le négocier à volonté. Il ne manquait pas d’établissemens de crédit faisant l’escompte des bonnes valeurs et émettant des billets à vue et au porteur très bien accueillis du public. La force du besoin les avait fait surgir naturellement pendant la pénible transition de l’assignat à l’écu. Dès l’an IV, Garat avait organisé, comme moyen d’action pour le haut négoce, une caisse des comptes courans, alimentée principalement par les dépôts volontaires et les encaissemens faits pour compte des associés. Une banque qui s’installa à Rouen eut pour spécialité la recherche des traites sur Paris. Le petit commerce parisien faisait aussi des efforts pour échapper à la fatalité des escomptes sur nantissement : il s’était formé dans son sein et à son usage des établissemens modestes tels que la caisse d’escompte du commerce, le comptoir commercial, connu vulgairement sous le nom de caisse Jabach, la factorerie et autres encore. La caisse d’escompte par exemple était vraiment digne d’intérêt. Elle avait pour base l’association solidaire de cinq ou six cents petits industriels et boutiquiers qui choisissaient dans leur sein un conseil de douze administrateurs, élus pour trois mois, mais rééligibles. On s’y préoccupait moins de procurer des dividendes aux actionnaires que de faciliter les transactions du commerce, et avec un faible capital de 6 millions en espèces et des garanties hypothécaires pour 20 millions on avait trouvé moyen de porter le chiffre des escomptes réels à 153 millions de francs, au taux de 9 pour 100, très modéré pour l’époque. La caisse des comptes courans, dont l’action était circonscrite, était loin de rendre les mêmes services.

On ne manqua pas d’insinuer au premier consul qu’il serait avantageux pour lui d’assurer l’escompte des valeurs de l’état au moyen d’un établissement spécial ; les principaux capitalistes, qui déjà étaient venus en aide au pouvoir nouveau par quelques avances, ne demandaient qu’à s’associer à quelque combinaison de ce genre. Un négociant de province qui avait siégé au conseil des anciens et qui fut plus tard ministre de l’intérieur, Crétet, improvisa un plan à cet effet et devint l’intermédiaire d’une alliance entre le jeune dictateur et la haute banque. Moins de trois mois après le 18 brumaire paraissait un décret consulaire décernant à la caisse des comptes courans le nom de Banque de France, mettant à sa disposition l’ancienne église des Oratoriens de la rue Saint-Honoré (transformée