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cettes. Le premier consul s’empressa d’appeler à lui les hommes qui conservaient les traditions de l’ancienne fiscalité, Dufresne-Saint-Léon, Gaudin, Mollien, Barbé-Marbois : c’étaient des commis honnêtes et intelligens plutôt que des hommes politiques, et leurs sympathies appartenaient au régime sous lequel leur éducation administrative s’était faite. Renoncer aux papiers de circulation, qui étaient d’ailleurs complètement discrédités, et les remplacer par un papier d’état présentant la solidité d’un billet commercial et devenant par cela même susceptible d’un escompte en espèces, tel est le plan auquel on s’arrêta pour improviser des ressources. L’honneur principal en revient à Gaudin (depuis duc de Gaëte), et comme il était expert, en matière d’impôt foncier, il fit de la contribution directe le pivot de ses opérations.

Sous le directoire, on avait imaginé comme mesure d’économie de laisser aux communes le soin de confectionner les rôles et d’adjuger au rabais les fonctions de percepteur ; mais, comme correctif de ce système, on avait été conduit à créer une armée d’inspecteurs dont les services coûtaient plus cher au trésor que l’économie réalisée. Gaudin emprunta la main ferme du premier consul pour briser ces rouages imparfaits, et en peu de semaines il improvisa pour la perception de l’impôt direct le mécanisme dont le type s’est à peu près conservé jusqu’à nos jours. La hiérarchie des agens fiscaux relevant du pouvoir étant installée dans chaque département, on pourvut à l’escompte des produits de l’impôt en engageant la signature et la responsabilité personnelle des receveurs de diverses classes. Les receveurs-généraux, après avoir fait traite sur les receveurs d’arrondissement, et en calculant bien les échéances, devaient souscrire au profit du trésor, et pour le montant présumé de la recette annuelle, des obligations payables à jour fixe et en espèces métalliques. On établit une sorte de solidarité entre les receveurs-généraux en les groupant en syndicat. On avait exigé d’eux, à titre de cautionnement, une avance d’environ 10 millions : on en fit le fonds d’une caisse dite d’amortissement, bien moins destinée à soutenir les valeurs publiques qu’à consolider le crédit des obligations émanant des recettes générales. Tout effet de ce genre, en cas de non-paiement à l’échéance et après protêt, devait être aussitôt remboursé en principal et intérêts par la caisse d’amortissement. Grâce à ces précautions, le papier des receveurs-généraux acquit une valeur commerciale : il devint éminemment escomptable, et en effet l’escompte des produits de l’impôt foncier a constitué un des principaux ressorts financiers de l’empire. Je me représente le public, au lendemain du directoire, se demandant par quelle magie l’état trouve des écus pour payer ses créanciers, ses