Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/1032

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu à descendre, a de beaux momens dans Anna Bolena, où elle se fait vivement applaudir, particulièrement dans la seconde partie de la cavatine finale : — Copia iniqua.

On ne peut pas dire qu’Anna Bolena soit une partition bien originale. L’imitation du style et des idées de Rossini y est flagrante, surtout l’imitation de la Semiramide. L’air de Percy et le quintette du premier acte, le trio, le second air de Percy, — Vivi tu, — et la cavatine de la fin que chante la reine marchant à la mort sont les morceaux les plus saillans d’un opéra dont le style est faible, inégal et rempli de ces concetti de vocalisation qui sont propres à l’école italienne. J’avoue que je commence à me fatiguer de ces étranges contre-sens de l’opera seria, et que je trouve que, par-delà les monts, on abuse du droit d’être absurde en fait de musique dramatique. Si M. Verdi avait été un homme de génie et un meilleur musicien qu’il n’est, la réforme qu’il a apportée dans l’opera seria de son pays eût été définitive et aurait pu être l’origine d’une école salutaire et féconde.

Le Théâtre-Lyrique fait également de courageux efforts pour atteindre le but de ses désirs, qui est de vivre modestement en attendant des jours plus prospères. Après la reprise de Jaguarita l’Indienne de M. Halévy, où Mme Cabel fait toute sorte de prouesses vocales, au grand ébahissement des sauvages et des Hollandais, on a donné plusieurs opérettes en un acte, qui ne sont pas destinées à faire de vieux jours. Le Café du Roi, paroles de M. Meilhac et musique de M. Deffès, est une historiette du règne de Louis XV le Bien-Aimé, où le compositeur s’est essayé, pour la seconde fois, à reproduire quelques vieux fredons de Lully et de Rameau. La Nuit aux Gondoles, de M. Prosper Pascal, avait des prétentions plus hautes, que le public n’a pas encouragées. Et pourtant M. Prosper Pascal est un esprit cultivé, un musicien délicat, qui vise à la poésie et qui l’atteint parfois. Il lui manque de l’expérience dans l’art d’exprimer sa pensée, l’habitude de s’entendre et de pouvoir se corriger. La Tyrolienne est encore un opéra-comique en un acte qui ne fera pas la fortune du Théâtre-Lyrique, qui a produit ce beau rosier le 6 décembre. Il est de la façon de MM. Saint-Georges et Dartois, musique de M. Leblicq, un Belge blond, dont c’est le premier rêve d’amour. Dans la Tyrolienne, il y a un chasseur qui est très content de son sort et qui chante une romance en l’honneur de sa carabine ; il y a une espèce de cicisbei russe, qui n’est pas moins content de lui, et qui chante à son tour : — Ah ! quel plaisir d’être Russe ! — Il y a une cantatrice qui vient de Saint-Pétersbourg chargée de gloire et de roubles, et qui chante le bonheur d’être une virtuose célèbre avec une petite voix aigrelette qui a été limée au Conservatoire de Paris, où ils n’en font pas d’autres. Elle se nomme Mlle Baretti. Quant à la musique de M. Leblicq, c’est un tissu de lieux-communs qui courent les rues de Paris depuis trente ans. Je souhaite au Théâtre-Lyrique une meilleure rencontre, un véritable succès, dont il me semble avoir grand besoin. Il ne trouvera pas ce phénix parmi les compositeurs belges qui nous inondent, et qui tous n’ont guère plus d’idées que M. Gevaërt.

Un homme actif et intelligent dont nous avons eu souvent l’occasion de mentionner le nom ici, M. Pasdeloup, le fondateur et le directeur de la société musicale des Jeunes artistes, vient d’accomplir un acte plus méritoire