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alors dans tout l’éclat de sa beauté et de son talent, — Don Pasquale, disons-nous, n’a pas été rendu avec la gaieté et le brio qu’on pouvait désirer. Mlle Battu, dans le rôle de Dorina, qu’elle abordait pour la première fois, n’a pas le charme de voix et de femme qu’il faut, et M. Zucchini, qui est un artiste de talent, ne possède pas la voix de basse qu’exige un rôle qui a été écrit pour Lablache. M. Bélart, qui ne brille guère par l’élégance, a dit avec assez de charme la jolie sérénade où M. Mario était autrefois ravissant. La reprise de Rigoletto de M. Verdi a été plus heureuse, parce qu’on y a vu un artiste distingué, M. délie Sedie, jouer en grand comédien le rôle important du père de Gilda. Il a été surtout remarquable dans la scène et le duo du second acte, dont il a bien dit la phrase vigoureuse, Vendetta, tremenda vendetta. Il a été bien secondé par Mlle Battu, qui, dans le rôle charmant de Gilda, qu’elle chantait aussi pour la première fois, a fait preuve d’intelligence et de talent. Nous voudrions n’avoir que des complimens à adresser à Mlle Battu, qui fait toujours de son mieux et qui fait souvent très bien. Nos réserves ne portent que sur la nature exiguë de son organe, sur certains défauts de prononciation, sur le timbre tout parisien de sa voix de soprano, qui n’a pas été pénétrée par le beau soleil de l’Italie. Ce n’est pas la faute de Mlle Battu si ces qualités désirables lui manquent ; mais ce n’est pas la nôtre non plus, ni celle du public qui va entendre de la musique et des chanteurs italiens. On a repris aussi tout récemment au Théâtre-Italien un vieil opéra de Donizetti, Anna Bolena, que ce charmant compositeur avait écrit à Milan en 1831 pour trois chanteurs de premier ordre, pour la Pasta, Rubini et Galli. Quelques années après, Anna Bolena fut chantée à Paris par Mme Grisi, Rubini et Lablache, qui, dans le rôle de Henri VIII, était d’une beauté effrayante. Le costume seul de Lablache dans le personnage du roi d’Angleterre, dont il s’était étudié, à reproduire la physionomie, avait produit à Londres une très grande sensation. Quant à Rubini chantant la cavatine de Percy :

Da quel di che lei perduta
Disperato in bando andai,


il faut plaindre ceux qui n’ont pu apprécier un si admirable exemple de l’art de chanter. Et si l’on a eu le bonheur d’entendre Rubini dérouler les notes douloureuses de l’andante de ce morceau et pousser les éclats de joie divine de l’allegro qui suit :

Ah ! cosi nei di ridenti
Del primier felice amore,


il ne faut pas demander à aucun virtuose de vous procurer des sensations pareilles. Aussi, en assistant à la seconde représentation de la reprise d’Anna Bolena, n’ai-je pas fait un crime à ce pauvre M. Bélart de n’être que la caricature de Rubini dans le rôle de Percy. Il a pourtant quelques sons agréables dans la voix, M. Bélart ; mais quel triste chanteur, qui ne sait pas respirer, et qui coupe chaque phrase par une espèce de hoquet qu’il voudrait nous faire accepter pour un sanglot de sa douleur absente ! M. Badiali est mieux dans le personnage de Henri VIII, qu’il joue et qu’il chante avec talent. Mme Alboni, dont la belle voix de contralto aspire un