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le principe de la liberté des échanges les mesures qu’elle prend sont, à ce qu’il lui semble, des manœuvres de guerre, impérieusement commandées par les besoins de la défense. Après la victoire, s’il est possible, on reviendra à la saine économie de l’assemblée constituante.

Il y avait une autre arme de guerre bien plus dangereuse encore. On peut dire des assignats qu’ils ont en même temps sauvé et perdu la révolution ils ont sauvé le principe de 89 en lui fournissant le moyen de se défendre sur les champs de bataille ; ils ont perdu la république, en l’empêchant de se constituer d’une manière tolérable. Le comité, issu de la convention donna l’étrange spectacle d’un gouvernement qui, avec quatorze armées et plusieurs escadres à pourvoir, tous les services administratifs à créer, des bandes d’affamés à assouvir, était littéralement sans budget et sans finances. Sauf les douanes, qui donnaient environ 8 millions, il n’y avait plus de contributions indirectes. L’impôt direct, levé suivant les rôles de l’assemblée constituante, aurait dû fournir 378 millions ; mais la perception en était très irrégulière, et les contribuables étaient d’ailleurs admis à se libérer avec des assignats au pair. Or, en pleine terreur et malgré le péril qu’il y avait à être signalé comme dépréciateur de la monnaie nationale, ces papiers étaient déjà cotés, dans le commerce avec une perte qui variait de 50 à 75 pour 100. Bien des financiers qui se croyaient habiles conseillaient naïvement au comité de salut public de ne plus accepter les assignats qu’au cours du jour ; mais les Cambon et les Robert Lindet savaient bien que le papier républicain n’était préservé d’un avilissement complet que par la faculté qu’il conservait de, procurer un dégrèvement des trois quarts sur l’impôt. En précipitant la monétisation de l’assignat, ils se seraient privés de leur unique ressource. À chaque besoin d’argent, on faisait courir la planche sous la presse ; on augmentait seulement le tirage en proportion de la baisse, afin d’obtenir la somme voulue. Grâce à ce procédé, les émissions présentaient un total de 45 milliards 579 millions en mars 1796, époque où les assignats furent démonétisés et remplacés par les mandats territoriaux, qui ne valaient guère mieux. L’immensité de cette fabrication, qui n’était d’ailleurs un mystère pour personne, devient en quelque sorte l’excuse de ceux qui l’ont pratiquée. Il sautait aux yeux des plus ignorans qu’une dette de 46 milliards n’était pas garantie par les biens nationaux disponibles, et qu’elle ne serait plus que très incomplètement remboursée. On s’attendait, en s’y résignant, à un sauve-qui-peut financier dans lequel il y aurait nécessairement des victimes. La perte d’ailleurs était beaucoup moins forte qu’on aurait pu le supposer d’après de si gros chiffres elle s’était réduite et dissémi-