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Eh quoi ! directeurs de théâtres petits ou grands, vous ne voyez pas qu’il y a une révolution à faire dans la poétique du ballet, qu’il y a un monde d’adorables fantaisies à tirer de ce cadre vieilli et usé ? Il ne s’est pas rencontré un homme assez avisé pour demander à Alfred de Musset, quand le monde possédait cette fleur de poésie, un scenario, un conte bleu de sa façon, rempli d’amour, de caprices, de désespoirs et de sublimes incantations. Le chant mêlé à la danse, la féerie succédant à l’expression des sentimens humains, la pantomime achevant le sens de la parole, la musique partout et toujours variant ses rhythmes et ses modes, et remplissant le cadre de ses harmonies mystérieuses : comprenez-vous mon rêve ? Allez donc trouver M. Doré, proposez-lui de tirer de la Divine Comédie, qu’il vient d’illustrer, un immense scenario où le ciel et la terre, l’enfer, le purgatoire et le paradis s’entr’ouvriront sur la scène de l’Opéra ; qu’on y chante, qu’on y danse et qu’on y parle tour à tour, et que, du fond de l’abîme, on entende s’élever ce lai d’un amour immortel :

Amor condusse noi ad una morte.

Pourquoi me refuserais-je le plaisir de dire un mot du festival qui a eu lieu à l’Opéra, le 23 novembre, au bénéfice de la caisse des pensions des artistes de ce théâtre ? Est-ce parce que mon cœur y a éprouvé une joie bien légitime ? La vie est trop courte pour ne pas marquer d’un clou d’or les instans bienheureux que nous accorde la Providence. Le programme de ce festival était rempli de toute sorte de morceaux assez mal choisis pour une pareille circonstance. Mme Viardot a eu le tort d’y chanter deux vieux airs, l’un de Graün et l’autre de Hasse, qui n’avaient aucune chance d’être appréciés par un auditoire aussi mêlé. Après avoir dit avec une grande bravoure un menuet d’un opéra de Hasse, l’orchestre exécuta un fragment de la symphonie de Roméo et Juliette, de M. Berlioz. À l’audition de cette musique puérile et prétentieuse, le public de l’Opéra s’est comporté exactement comme celui du Conservatoire l’année dernière : il s’est mis à rire. La séance s’est terminée par un coup de foudre, par la bénédiction des poignards du quatrième acte des Huguenots, que le public a fait recommencer.

Je voudrais bien parler de l’Opéra-Comique sans colère, sans amertume, et pouvoir dire que ce théâtre éminemment national est dans l’état le plus prospère, qu’il n’y manque ni voix, ni talens, ni répertoire intéressant. Le répertoire de l’Opéra-Comique, s’il était bien aménagé, est vraiment le plus riche que possède aucun théâtre de Paris : les chefs-d’œuvre y abondent, et il n’y a qu’à tendre la main pour trouver un joyau qui attirerait la foule à ce spectacle, heureux mélange d’esprit et de sentiment, de gaieté et de douleur, de prose et de poésie ; mais comment veut-on qu’on se plaise à entendre la Sirène, qu’on a reprise le 4 novembre avec M. Roger, qui ne donne plus qu’à grand’peine un son musical, et avec Mlle Marimon, qui fait des efforts inouïs pour chanter faux ? Est-ce avec la voix sourde et usée de M. Battaille qu’on me fera supporter l’Étoile du Nord, où Mlle Saint-Urbain a été dernièrement si bien jugée par le public impatient ? J’aime mieux la drôlerie du prince Poniatowski, Au Travers du Mur, que des chefs-d’œuvre si tristement exécutés. Mlle Bélia, remplaçant dans le Postillon de Long jumeau Mme Faure-Lefèvre, manque de tout, excepté d’audace. Si