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grand bon sens au philosophisme de Heidelberg, étudiant à s’épuiser et faisant parfois des discours où passait comme un éclair mystique. Il savait d’ailleurs garder d’une façon remarquable sa dignité de roi, n’ayant pour son compte aucune rancune personnelle, mais ayant de la peine à pardonner à ceux qui avaient autrefois humilié sa mère dona Maria. Dom Pedro aimait aussi les appareils militaires, les manœuvres, les soldats ; il s’essayait aux plus rudes fatigues, et il y soumettait les siens. C’est peut-être ce qui a hâté sa mort. Il voulut l’été dernier parcourir l’Alemtejo à cheval, et il rapporta, dit-on, de ce voyage le germe du mal qui l’a tué prématurément. Il a disparu dans la fleur de la jeunesse et d’une honnête popularité, laissant la royauté aimée et respectée en Portugal, et le nouveau règne ne fera qu’affermir sans nul doute ce précieux héritage.


CH. DE MAZADE.


REVUE MUSICALE


Le théâtre de l’Opéra est assez bien lancé cette année. On s’y remue, on s’y ingénie à combiner des choses nouvelles, on essaie des ténors, on semble enfin se préoccuper de l’avenir de ce grand établissement lyrique, où rien ne peut être improvisé. Alceste soutient sa vieille renommée, et les amateurs d’élite, dont Paris et la France renferment un si grand nombre, accourent à ce noble spectacle et applaudissent ce qui ne cessera d’être admirable que le jour où on aura perdu le sens de la grandeur et du pathétique.

Un joli ballet, l’Étoile de Messine, a été donné le 20 novembre avec assez d’éclat. C’est l’œuvre presque de trois Italiens, de Mme Ferraris d’abord, pour qui le scenario a été conçu, d’un M. Borri, chorégraphe habile qui nous vient du pays où l’on a inventé les fêtes galantes, et de M. le comte Gabrielli, l’arrangeur de la triste musique qu’on y a ajoutée. Qu’a donc fait M. Gabrielli pour mériter l’honneur de faire entendre ses fades pots-pourris dans la salle de l’Opéra ? Il y a dans Paris vingt compositeurs plus instruits, mieux inspirés que lui, et qui seraient heureux de faire danser aux sons de leur chalumeau une ballerine aussi charmante et aussi inventive que Mme Ferraris. Pourquoi s’adresser à des incapables fuorusciti, quand on a sous la main des hommes de talent, nés Français et chrétiens, comme dit le moraliste ? C’est M. Paul Foucher qui raconte cette lamentable histoire d’une ballerine di piazza qui parcourt le monde sur la pointe de ses jolis pieds, et qui s’éprend tout à coup d’un amour funeste pour don Raphaël de Lemos, fils du gouverneur de Messine. Elle expire, la pauvre Gazella, en voyant sortir de l’église son bien-aimé donnant le bras à la comtesse Aldini, qu’il vient d’épouser. L’intérêt de ce ballet est dans les groupes, dans les évolutions dessinées par M. Borri, surtout dans le talent de Mme Ferraris, qui a plus d’esprit et de grâce au bout de ses pieds mignons qu’il n’y a de fausses notes dans la musique de M. Gabrielli. Quand me sera-t-il donné de voir un ballet comme je me l’imagine ? Une légende d’or, un songe d’une nuit d’été rêvé par un Shakspeare, illustré par un Beethoven ou par un Mendelssohn !