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du sud et de consacrer le démembrement de la grande république ? Le froid et astucieux message de M. Jefferson Davis peut-il nous faire oublier qu’au fond la principale cause de la formation de la confédération nouvelle, c’est l’esclavage érigé en institution permanente ? Le langage de M. Davis peut-il nous donner le change sur le caractère de la conspiration odieuse qu’a couvée la triste administration de M. Buchanan, sur l’habileté corruptrice avec laquelle les ministres du dernier président, qui composent aujourd’hui le gouvernement des confédérés, se sont servis du pouvoir fédéral pour ruiner et désarmer ce pouvoir aux mains de leurs successeurs et pour démanteler par la ruse avant de la détruire par la violence la constitution des États-Unis ? Toutes les idées généreuses nous interdisent de donner à la confédération du sud une reconnaissance hâtive. Serions-nous poussés par l’intérêt matériel ? Nous aussi, dit-on, nous avons besoin de coton ; nous prenons la plus grande partie de nos tabacs dans les états du sud, aujourd’hui fermés par le blocus, et l’on sait de quelle ressource est la consommation de ce tabac pour notre revenu financier. Mais si la guerre devait éclater entre l’Angleterre et les États-Unis, nous n’aurions pas besoin de nous en mêler pour obtenir le coton et le tabac que les confédérés auraient à nous vendre. La première conséquence de cette guerre serait le débloquement des ports du sud opéré par les escadres anglaises. Les neutres n’étant tenus de respecter que les blocus effectifs, les ports du sud nous seraient ouverts, et nous y pourrions trafiquer sans être belligérans. Au contraire, au point de vue des intérêts matériels, la neutralité nous offrirait de grands profits. Une partie considérable du commerce des belligérans (et ici les belligérans seraient les deux premières nations commerçantes du monde), nous empruntant notre pavillon, élargirait la clientèle de notre marine marchande. Les intérêts égoïstes s’accordent ainsi avec les principes libéraux pour nous recommander la neutralité. Efforçons-nous donc, si notre influence à Londres comme à Washington y peut quelque chose, de prévenir la guerre ; mais, si la guerre éclate, ayons le ferme dessein de n’y point prendre part, écartons la coupable idée d’aller porter, au moment de ses désastres, des coups funestes à un gouvernement tourmenté par une révolution. Nous qui, république, avons été traqués par une coalition de rois, ne formons point une-coalition contre une république en convulsion. Toute autre conduite serait le reniement insensé de l’esprit de la révolution française et une trahison coupable des plus manifestes intérêts de la France.

Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le public français partage avec une remarquable unanimité l’opinion favorable au maintien de notre neutralité. L’on a peine à s’expliquer la pensée qui a pu diriger dans une voie différente une portion de cette presse que l’on appelait naguère officieuse, mais qui a pris soin de nous déclarer avec un certain éclat qu’elle était définitivement rendue à l’indépendance. A-t-on voulu simplement faire une avance à l’Angleterre et lui prodiguer en un moment difficile