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Dit : « Confessez, pécheurs, vos fautes sur la terre !
Dieu, qui sonde les reins, vous défend de les taire,
Lui qui doit séparer l’ivraie et le froment.
Ouvrez vos cœurs : voici l’heure du jugement,
Le supplice éternel ou l’éternelle joie.
Comme juge, vers vous, Dieu lui-même m’envoie. »
Les groupes consternés tremblaient en l’écoutant.
Or ce juge envoyé d’en haut, c’était Satan,
Satan, prince du mal, instigateur des crimes,
Qui venait demander au péché ses victimes !
Secouant les ennuis de leur pesant sommeil,
Comme à l’heure où pour eux s’éteignit le soleil,
Les funèbres dormeurs, hôtes du cimetière,
Reprenaient leur pensée et leur forme première ;
Et ces demi-vivans de la tombe échappés,
Drapés dans leurs linceuls, dans leurs forfaits drapés,
Accouraient pour savoir, sous le firmament sombre,
L’arrêt inexorable et le poids de leur ombre.
O novembre de glace ! ô triste nuit des morts !
Fête de la douleur, du crime et des remords !


III


La flamme colorait, en s’élançant de l’âtre,
L’immobile troupeau d’une teinte verdâtre.
Solitude et silence ! horreur ! On voyait seuls,
Aux coups de l’aquilon, frissonner les linceuls.
Sans s’émouvoir du choc des stridentes rafales,
L’ange maudit compta toutes ces têtes pâles,
Tous ces morts plus nombreux que le sable des mers,
Muets, et qui semblaient dormir les yeux ouverts.
Un sourire d’orgueil adoucit son visage.
« Cette immense moisson du mal est mon ouvrage,
Pensa-t-il ; les voilà, misérables et nus,
En face de secrets à la terre inconnus !…
Ton tonnerre a brisé mes deux ailes d’archange ;
Tu m’as chassé du ciel, Jéhovah ! Je me venge :
Je frappe, je corromps, ma haine verse à flots
Sur le lâche univers le crime et les sanglots.
Le Christ même n’a pu terrasser mon courage ;
À l’arbre de la croix j’arrache son feuillage,
Qui de fleurs et de fruits couvre l’humanité,
Et je suis encor roi dans mon éternité. »