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Et cette humilité profonde prenait parfois des formes charmantes ; en voici un exemple. Il avait un petit-fils qu’il aimait avec tendresse et auquel il se plaisait à raconter les légendes de l’enfance du Christ. « Puis arrivaient les rois mages dans leur attirail, tels que les avait vus Kalempin en quelque vieille toile : des coffrets d’or, des encensoirs aux mains, sur la tête des tiares, et traînant leurs manteaux de brocart, l’un d’eux tout noir. — Comme vous, grand-père ! — Le grand-père souriait. Se comparer à un roi mage, lui ! Pourtant, des trois, l’un avait la peau couleur d’ébène ; la chose était sûre : maintes fois, durant ses longues contemplations, le cœur du vieux nègre en avait tressailli. Et l’enfant regardait tout pensif son grand-père ; un saint respect pénétrait son âme ; peu s’en fallait qu’il ne lui vît sur la tête quelque mitre orientale constellée de pierreries. » Un jour l’enfant qu’il entourait d’une si vive tendresse tomba malade et fut longtemps en danger de mort ; alors cette humilité que nous venons de voir charmante s’éleva jusqu’à la grandeur. « Ce que Dieu voulait faire, Dieu le ferait : qu’y pourrait-il, lui, pauvre nègre ? Il ne disputait, pas, il ne se soumettait pas, il attendait le coup. » Mme de Gasparin a trouvé de pathétiques paroles pour rendre les alternatives d’abattement et d’espérance de cette âme résignée, modeste dans le désespoir, modeste aussi dans la reconnaissance. Une douce lueur éclaire les dernières pages de cette jolie nouvelle, une lueur vraiment religieuse. On dirait un rayon égaré de cette lumière qui enveloppe si mollement les anges de Rembrandt et baigne les traits de ses personnages divins. Le Dieu qui brise celui qui résiste et qui sauve celui qui s’abandonne sans retour entre invisible dans la pauvre chambrette, il ressuscite l’enfant. « Toutes les timidités du vieux nègre lui revenaient à mesure que se faisait une lueur. Il frissonnait au voisinage de l’espoir. Lui, une telle grâce ! Il errait, il chancelait, ses mains vacillantes pouvaient à peine soutenir son enfant ; il n’osait le contempler, il n’osait rendre grâce, il se trouvait audacieux… Longtemps on eût pu voir l’enfant et le vieillard, penchés sur les Évangiles, épeler en suivant du doigt les mots. Et quand ils arrivaient au tombeau de Lazare, quand ils rencontraient le cortège de Naïm, le grand-père et le petit-fils se regardaient. »

L’abnégation et l’oubli de soi-même, la charité pratique, active, laborieuse, le dévouement sans espoir de retour sont représentés par un personnage qui n’est guère mieux partagé que le pauvre Kalempin. Les personnages de Mme de Gasparin ne sont pas en effet des protégés de la nature. La nature n’a rien fait pour eux, ils ne sont quelque chose que par la grâce divine, et le peu qu’ils obtiennent de la nature, ils l’obtiennent par le pouvoir de la grâce. Et cependant parmi les protégés de la nature en est-il beaucoup qui soient