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en tête de ses œuvres, et où il poursuit de son implacable hauteur ses adversaires, les dissidens, les apologistes de la monarchie absolue. Et cependant, à la lumière de ces paroles que je rappelais, la différence n’est peut-être point aussi grande qu’on le dirait au premier abord. C’est moins une question d’opinion que d’incompatibilité d’humeur et de tempérament, et le libéralisme de M. de Montalembert n’est pas entièrement l’opposé de l’absolutisme de ses adversaires.

La vérité est que la liberté, pour M. de Montalembert, est moins un système raisonné et coordonné de politique qu’un goût très vif d’indépendance personnelle et le mouvement d’une nature impétueuse et fière qui a besoin d’air et d’agitation. C’est pour lui un moyen d’échapper au niveau démocratique et de donner carrière aux saillies de son humeur. Il aime la liberté comme un grand seigneur qui est un peu dépaysé dans nos sociétés modernes, qui ne trouve plus que la religion et les luttes de la parole dignes de sa noblesse. On a dit quelquefois qu’il y avait des ressemblances qui se transmettaient, des affinités de caractère qui se retrouvaient à travers les siècles. M. de Montalembert aimerait, je pense, à considérer le duc de Saint-Simon, l’auteur des Mémoires, comme un de ses ancêtres dont il aurait reçu quelques traits. Il a cherché à retracer cette figure, et il aime à y trouver son idéal, un grand homme de bien et d’honneur. Il l’aime pour sa hauteur, pour sa fierté de gentilhomme, pour sa haine de la bassesse, pour son humeur indépendante et frondeuse. Cette gaillarde brutalité dans la peinture du monde de Louis XIV l’enivre. Ce n’est pas seulement pour l’écrivain qu’il a du goût, c’est pour l’homme et même pour le politique. M. de Montalembert dessine avec trop d’amour la figure de Saint-Simon pour ne pas croire lui ressembler un peu. Ce n’est pas par le style et par la puissance d’observation qu’il lui ressemble, il s’entend ; mais il a comme une tradition de cette humeur, de cette hauteur du gentilhomme indépendant, méprisant et ironique. Seulement Saint-Simon est un homme du XVIIe siècle et reste en tout du XVIIe siècle ; M. de Montalembert est de notre temps et a vécu dans l’atmosphère démocratique, dont il s’est laissé imprégner. C’est un aristocrate qui dit volontiers d’un ton dégagé : « Je n’aime pas le joug, je ne suis pas assez révolutionnaire pour cela, » et qui en même temps a le langage révolutionnaire, des procédés de polémique entièrement révolutionnaires. Je ne sais si c’est à l’étude de Saint-Simon que M. de Montalembert a contracté cette habitude ; mais il aime à prodiguer dans ses pages tous ces termes de tyrannie, de servitude, de valets, de muets, de pieds-plats, de flibustiers, que sais-je encore ? Pour nous autres lettrés et gens de moins haute