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et les Moines d’Occident, M. de Montalembert n’ait multiplié les essais, les fragmens, les brochures, les livres, et que dans cette multitude d’écrits il n’y ait souvent un souffle de généreuse éloquence, des traits d’une vigoureuse inspiration et d’une grâce originale et fière. Il échappe plus d’une fois à M. de Montalembert des pages d’une réelle puissance d’émotion ou d’ironie. Ce qui lui manque, c’est la conception, c’est l’instinct véritable des conditions de l’art littéraire. Il subit la passion du moment, et l’éclat de la verve couvre ce qu’il y a de confusion dans la marche des idées ou dans la proportion des tableaux. D’ailleurs cette préoccupation désintéressée de l’art a-t-elle à ses yeux une grande valeur ? Quand il écrit sur Saint-Simon, est-ce bien à Saint-Simon et à son époque qu’il songe ? Il est tel fragment sur Mme de Maintenon où le sentiment de toute nuance disparaît, et qui ne semble combiné que pour aboutir tout à coup à l’apothéose de M. de Falloux. L’auteur de l’Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, de cette légende d’un intérêt un peu effacé, n’est donc point rigoureusement un écrivain, ou il ne l’est que par saillies, par éclairs, et il n’est pas non plus un politique. Il n’a ni la netteté, ni le coup d’œil, ni le sens de la réalité d’un homme d’état accoutumé à manier les ressorts complexes des affaires humaines. Observateur sagace et émouvant des situations, il ne laisse pas entrevoir un sentiment bien exact de ce qui est possible. Il ne se défend pas absolument de toute chimère, et je ne pense pas qu’il offre comme le dernier mot de ses théories constitutionnelles l’idée qu’il émettait récemment de créer une pairie élue, comme en Prusse, par les propriétaires centenaires, en d’autres termes par les propriétaires possédant leurs terres depuis cent ans, ce qui ne laisserait pas bientôt de devenir difficile en France, et reléguerait le régime constitutionnel au rang des utopies ou des exhumations archéologiques, s’il était à ce prix. La chimère rétrospective et l’absolu sont trop souvent les pièges de cet esprit brillant, qui échappe aux difficultés pratiques et se jette hors de la réalité.

M. de Montalembert n’est donc par sa nature ni un écrivain aux conceptions réfléchies, ni un politique au conseil juste et prévoyant. C’est un orateur. La passion de la lutte est le fond chez lui ; l’arme, la forme de l’action et de la pensée, c’est le discours, et même quand il écrit des brochures, des essais ou des lettres, on dirait encore l’orateur enivré du combat, cherchant à communiquer sa passion ou enfonçant le trait d’une main accoutumée au geste des tribunes. C’est un partisan de la parole, indépendant et assez indiscipliné, tenant la campagne pour lui-même, harcelant l’ennemi, se plaisant à ces hardies et brillantes aventures de l’éloquence d’où il revient quelquefois vaincu et blessé, mais sans cesser d’aimer le