Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/987

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devient un signe de caractère, N’y avait-il cependant que la foi religieuse et la passion de la liberté dans cette mise en scène un peu apprêtée de l’école gratuite et dans cette virulente harangue adressée à la chambre des pairs ? Il y avait aussi de cette ardeur d’imagination qui était partout alors et de ce goût des nouveautés qui se traduisait en littérature par le romantisme. M. de Montalembert était un romantique du catholicisme et de la politique, associant dans son amour l’autorité religieuse, la liberté illimitée, les monumens chrétiens, les légendes catholiques, la poésie nouvelle, les peuples en insurrection pour leurs droits, les nationalités opprimées, et confondant dans sa haine vigoureuse l’Université sceptique, les traditions révolutionnaires, ce qu’il appelait les « légalités liberticides, » les despotes, les courtisans, l’art frivole et païen, le vandalisme s’abattant sur les cathédrales gothiques ; mais amour et haine, c’est toujours la lutte, et je ne m’étonne pas qu’on ait pu entendre M. de Montalembert dire de lui-même : « Je serai toujours un ultra, » — un ultra même quand il sera modéré. C’est un lutteur, dis-je. Ainsi se révèle M. de Montalembert dans ces œuvres qu’il recueille aujourd’hui, fragmens dispersés au hasard d’une carrière qui trouve son unité moins dans le lien et la consistance des opinions que dans l’indépendante originalité d’un talent qui imprime son caractère à tout ce qu’il remue, à tout ce qu’il évoque, Ce qui apparaît dans ces pages, qui sont le perpétuel commentaire d’un temps, ou, si l’on veut, un épisode de ce temps, ce n’est ni un écrivain, ni un politique, ni un libéral, ni même peut-être un simple catholique ; c’est un homme dans l’acception la plus vivante du mot ; c’est une nature impétueuse et fière, frémissante et hautaine, qui n’a trop souvent de la politique que le goût, du libéralisme que l’humeur militante, de la religion que l’ardeur provocatrice, et chez qui tous ces élémens se fondent, se combinent sous le sceau d’une sincérité passionnée.

Lorsque M. de Montalembert, en rejetant un regard sur cette vie publique qu’il a parcourue avec éclat, en s’interrogeant lui-même sur ce qu’il a voulu, aimé et espéré, cherche dans le passé la trace lumineuse des Fénelon, des Montesquieu, des Royer-Collard, des Casimir Perier, des Tocqueville, et se met humblement à la suite de cette élite, il se trompe ; il n’est point de cette famille, pas plus que de celle de Chateaubriand et de Mme de Staël. Ce n’est point un écrivain, et il pourrait bien y avoir quelque lueur de vérité dans ce qu’il dit lui-même de ses œuvres : « Ma renommée littéraire aura beaucoup plus à perdre qu’à gagner à cette résurrection trop fidèle de mon passé. » Ce n’est pas qu’entre ces deux dates de sa vie intellectuelle, marquées par l’Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie