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ces prétentions solennelles et de cette incurable misère ; pourquoi donc ne se prépare-t-elle pas à-recueillir sa part de l’héritage ?

L’Autriche a beau s’effrayer des obligations que la chute possible de l’empire ottoman lui imposerait : ni ses vœux ni ses craintes ne peuvent arrêter la marche logique des choses. Si quelque jour la succession des sultans est décidément ouverte, il faudra bien que la maison des Habsbourg accepte ses destinées avec courage, sous peine de déchéance. Cette régénération intérieure, tour à tour si ardemment entreprise et si vite abandonnée, deviendra pour elle une condition de salut. La suppression d’une bureaucratie oppressive, l’autonomie des races conciliée avec les droits du gouvernement central, la vie spontanée des peuples, le libre essor des nationalités, toutes ces choses qui alarment aujourd’hui l’Autriche, ce sont là pour elle autant d’instrumens de victoire dans la grande compétition qui s’apprête. Qu’elle sache donc se préparer d’avance à son rôle ! Ce sont des amis, on vient de le voir, qui lui adressent ces supplications avec une respectueuse douleur, et l’intérêt de l’Europe est conforme à leurs paroles. Entre l’empire des tsars et l’Europe du midi, il faut une puissance assez forte pour rallier une notable part des populations du Danube. C’est la mission de l’Autriche, non pas de l’Autriche que M. de Berg nous montre à l’œuvre dans le Banat et la Voyvodie, mais d’une Autriche nouvelle, régénérée, d’une Autriche qui ranimerait la vie au lieu de l’éteindre, qui formerait autour d’elle un faisceau vivant de peuples libres, qui ne marchanderait pas à la Hongrie la reconnaissance de ses droits, qui ne pousserait pas la Galicie au désespoir, qui rendrait hommage au patriotisme loyal de la Bohême, qui préférerait enfin à des possessions iniques en Italie une souveraineté légitime et féconde dans l’Europe orientale. Voilà bien des exigences, dira-t-on. Qu’importe, puisque c’est la nécessité qui parle ? Si la Sublime-Porte avait pu faire ce que l’Europe libérale demande à la maison de Habsbourg, elle n’en serait pas réduite au point où on la voit. Un état germanique montrerait-il à se transformer la même impuissance qu’une nation musulmane ? et serait-on forcé de dire un jour que l’Autriche est une sorte de Turquie au milieu de la société chrétienne ?


SAINT-RENE TAILLANDIER.