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justice aux bonnes intentions de l’autorité centrale. « Certes, dit-il, le grand machiniste assis au centre de l’immense machine de l’état peut bien voir si les rouages principaux s’engrènent régulièrement les uns dans les autres ; mais comment verrait-il tous les points où des frottemens funestes entravent la marche de l’ensemble et paralysent la bonne volonté du chef ? Ces dangers-là, il faut les découvrir sur place. En d’autres termes, il est incontestable que dans le vaste royaume de la bureaucratie autrichienne maintes choses se passent dont on n’a pas à Vienne la plus légère idée. Le premier remède au mal, c’est donc de se procurer des informations sûres. Charlemagne envoyait des missi dominici sur tous les points de son empire pour s’assurer si toutes ses ordonnances étaient fidèlement exécutées ; l’auguste empereur d’Autriche devrait envoyer aussi jusqu’aux extrémités de ses états des hommes dignes de sa confiance pour chercher la vérité, découvrir le mal, soutenir les faibles et châtier les méchans. Mais ces hommes ne devraient point se borner, comme cela se pratique d’ordinaire, à rendre visite aux autorités, à écouter les rapports des fonctionnaires ; il faudrait qu’ils se mêlassent au peuple sans être connus de personne, qu’ils recueillissent en dehors de la hiérarchie tous les témoignages honnêtes, qu’ils employassent enfin tous les moyens de connaître la vérité, voyant tout par eux-mêmes, ayant pour tous et pour toutes choses des yeux toujours ouverts, des oreilles toujours attentives. Ce ne serait pas de ces inspecteurs officiellement, annoncés, qui arrivent partout avec pompe et qu’on reçoit avec les habits du dimanche. Les missi dominici de l’empereur arriveraient sans être attendus, et rassembleraient au milieu même du peuple tous les élémens de leurs rapports avant de mettre le pied chez les représentans du pouvoir. S’ils veulent sérieusement découvrir la vérité, l’occasion ne leur manquera pas. » Ainsi parle M. de Berg, et l’on voit bien, à la vivacité pressante de son langage, quelle est la gravité des scandales dont il s’agit. La mesure qu’il propose suffira-t-elle ? Pur expédient, je le crains, expédient de détail, dont on reconnaîtrait bientôt l’inefficacité. D’ailleurs qu’est-ce qu’un gouvernement qui ne peut vivre, une administration qui ne peut rester honnête qu’à la charge d’être tenue constamment en suspicion aux yeux de tout, un peuple ?

Non, le mal est plus profond que ne le croit M. de Berg, et demande un remède plus énergique. Ce ne sont pas les machinistes qu’il faut surveiller de plus près, c’est la machine elle-même qu’il faut réformer. Le ministère autrichien l’a compris, quand il a offert des concessions (insuffisantes, si l’on veut, mais acceptables pourtant, ne fût-ce qu’à titre provisoire) à ces familles de peuples, qui formeront un : jour, sous le sceptre des Habsbourg et dans l’intérêt