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bien des générations, et qu’elle possède sans lutte, sans effort, sans la moindre inquiétude d’aucune sorte ; à coup sûr, si le gouvernement de Vienne a été tranquille quelque part et assuré du lendemain, même au milieu des commotions de 1848, c’est bien dans le Banat et la Voyvodie serbe. Aucune plainte, aucune réclamation, soit politique, soit nationale ; il a fallu qu’un homme grave, un fonctionnaire considérable d’un royaume voisin, bien plus, un tory allemand tout dévoué aux Habsbourg, il a fallu que M. le baron de Berg vînt parcourir ces contrées de ville en ville et de village en village, pour révéler l’effroyable incurie de l’administration autrichienne. Qu’à fait l’Autriche de ces populations si soumises ? Elle ne peut alléguer ici son éternelle excuse ; elle ne peut dire que la centralisation, — telle que l’a constituée le prince Schwarzenberg, — était une arme contre la révolte ouverte, et qu’il fallait avant tout rétablir l’ordre politique ou du moins ce qu’elle appelle de ce nom. Bien loin de là ; obligée, disait-elle, de montrer ailleurs ce que pouvait être un gouvernement de guerre, il lui était permis de montrer dans ces provinces ce qu’elle pouvait être aussi à titre de gouvernement pacifique et fondateur. Encore une fois, qu’a-t-elle produit ? On l’a vu par ce récit d’un témoin qui ne sera ni contredit ni récusé : une administration sans lumières et sans entrailles, une justice insouciante et lâche, des fonctionnaires qui ne sont occupés qu’à se tromper les uns les autres, le gouvernement central absolument ignorant de la situation du pays, l’autorité supérieure réglant de loin, c’est-à-dire en aveugle, des choses qui veulent être vues de près, et que personne n’a le courage de voir à sa place ; des centaines de petits despotes qui substituent leurs caprices à la loi ; le peuple sans école, sans secours intellectuels et moraux, entretenu comme à dessein dans l’habitude du servage ; la dignité humaine étouffée sous le bâton ; l’église de la majorité desservie par de malheureux ignorans et quelquefois, dit-on, par des malfaiteurs ; — ces scandales tolérés, encouragés peut-être, ou du moins les coupables protégés contre leurs évêques dans un intérêt de polémique religieuse au profit des églises rivales,… voilà, en résumé, ce qu’a vu de ses yeux un ami de la monarchie des Habsbourg ! En vérité, au moment où le cabinet de Vienne semble vouloir revenir sur les libérales propositions qu’il avait faites à la Hongrie, au moment où la Bohême est menacée dans ses plus légitimes aspirations, ces révélations sur les extrêmes provinces de l’Autriche orientale ont un singulier et terrible à-propos. Est-ce là ce que l’avenir promet aux Tchèques et aux Magyars ?

M. de Berg, dans son loyal dévouement à l’Autriche, essaie d’indiquer les remèdes au mal qu’il a si franchement dévoilé. Il rend