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Orientaux et servi dans de petites tasses par des domestiques au teint noir ou cuivré. Dans le courant de la conversation, il nous raconta ses aventures de soldat pendant la guerre contre les Russes en 1828 ; il nous montra le plan de sa forteresse, il permit à l’un de mes fils de dessiner sa résidence, et quand nous prîmes congé de lui, il nous remercia gracieusement de notre visite, toute la scène à laquelle nous venions d’assister avait vraiment quelque chose de caractéristique. L’attitude majestueuse du pacha révélait chez lui un sentiment de la grandeur de son rôle qui contrastait singulièrement avec l’état misérable de la forteresse et des troupes placées sous ses ordres. Je pensais à cette glorieuse histoire ottomane dont ces contrées avaient été le théâtre, et, voyant les derniers débris de tant de splendeurs dans ce misérable petit nid où se presse une populace en guenilles, je me rappelais les paroles du commandant d’Orsova. En vérité, si c’est bien là une miniature de la Turquie elle-même, il est impossible de promettre une longue durée à l’empire turc. Ce sera une nouvelle confirmation de cette vérité, que les barbares, une fois en rapport avec la civilisation des peuples chrétiens, ne peuvent résister à son action, et qu’il leur faut, bon gré, mal gré, vivre de la vie chrétienne ou périr. »


Arrêtons-nous devant ce dernier tableau ; M. de Berg, voyageur exact, observateur précis, qui n’oublie dans ses notes ni une ville ni un village, qui rassemble chemin faisant des documens de toute espèce, qui publie pour les hommes spéciaux un exposé de l’administration forestière dans le Banat, M. de Berg n’est pas un écrivain et ne s’est pas soucié le moins du monde de tracer une œuvre d’art. Qu’importe ? les choses parlent d’elles-mêmes, et quand la réalité est scrupuleusement reproduite, l’œuvre d’art se combine, pour ainsi dire, toute seule dans l’esprit du lecteur. C’est là ce qui fait le charme des récits de voyage, même faiblement composés, pourvu qu’on ait affaire à un observateur intelligent et instruit. À travers la confusion des notes rassemblées par le savant directeur des eaux et forêts du royaume de Saxe, trois points très distincts m’ont frappé : — la détestable administration qui laisse croupir dans l’ignorance et l’avilissement des populations pleines de sève ; — le réveil subit de ces nobles races, dès que l’esprit moderne et le travail leur ouvrent une nouvelle existence ; — enfin, les leçons qui résultent pour l’Autriche du voisinage de la Turquie. Si M. le baron de Berg avait pris soin de mettre plus vivement en lumière ces trois parties de son œuvre, il eût été mieux en mesure, ce semble, de rendre au gouvernement autrichien les services qu’il lui promet. La vérité, l’amère et bienfaisante vérité annoncée par la préface eût apparu dans tout son jour.

Les réflexions se présentent en foule à l’esprit, quand on résume les observations de M. le baron de Berg sous les trois chefs que je viens d’indiquer. Voilà des contrées que l’Autriche possédé depuis