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du peuple est une des plaies et des hontes de l’Autriche. En traversant le petit village de Plavischoviza, sur les bords du Danube, M. de Berg aperçut une jeune paysanne vêtue avec tant de : grâce, avec une si rustique élégance, qu’il s’approcha pour la considérer de plus près et engagea la conversation avec elle. Il apprit bientôt qu’elle était la fille d’un pope, quelle était mariée à un paysan, et qu’elle ne savait ni lire ni écrire, n’ayant jamais été à l’école. « La fille d’un pope ! s’écrie M. de Berg, car l’état du clergé grec l’a particulièrement frappé, et il revient volontiers sur ce sujet ; la fille d’un pope !… Voilà l’image de l’éducation populaire dans ce pays, et nous sommes en Autriche ! et c’est l’Autriche qui a reçu la mission de porter en Orient la culture européenne ! » La plainte de M. le baron de Berg n’est que trop fondée ; eh bien ! malgré ce manque absolu d’éducation, et quoique le temple soit aussi stérile que l’école, les femmes valaques ont de nobles et purs instincts qui les protègent contre le mal. Elles sont laborieuses et chastes ; elles ont le goût de la propreté, de l’élégance, un certain art de se vêtir qui n’est point coquetterie, mais respect de soi-même, et tandis que leurs maris ou leurs frères oublient si souvent leur fierté sous le bâton du maître, ce sont les femmes qui, par leur attitude, leur conduite, leur noblesse ingénue, maintiennent encore la dignité de la race chez les arrière-neveux des colons de Trajan.

Les parties montagneuses du Banat offrent certains symptômes rassurans pour l’avenir du pays. L’industrie, qu’on a tant de fois maudite en d’autres lieux et qui sans doute a ses misères comme ses avantages suivant le rôle qu’on lui assigne, l’industrie, dans le Banat, est une puissance bienfaisante. À Oravicza, à Steierdorf, à Anina, à Neschitza, dans toutes ces villes et ces villages qui couvrent la ligne méridionale des Carpathes, la recherche de la houille et le travail des métaux ont donné une vie nouvelle à la contrée. Steierdorf est le centre de ce mouvement. Il y a près d’un siècle, à l’endroit où s’ouvrent aujourd’hui ces mines de houille qui rivalisent, dit-on, avec les dépôts d’Angleterre et de Belgique, on n’entendait résonner dans les vastes forêts de la montagne que la cognée du bûcheron. Trente-quatre familles de montagnards, venues de la Styrie dans le Banat en 1773, s’étaient établies sur ce point des Carpathes pour y exercer leur métier ; elles coupaient du bois et faisaient du charbon. Ce campement de charbonniers dans la forêt prit dès le premier jour un nom qui rappelait son origine : on l’appela Steierdorf ou village des Styriens. Aujourd’hui encore les petits-fils des premiers émigrans conservent ce nom de Styriens avec une certaine fierté, et forment une espèce d’aristocratie parmi les laborieux enfans de la montagne. Il y avait dix-sept ans que ces