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l’ignorance des popes. Un jour, un pope qui, depuis une dizaine d’années, exerçait son ministère dans un petit village du Banat, est appelé par son évêque à un poste plus élevé. Pour justifier cette faveur, l’évêque exige qu’il inaugure son nouvel emploi en prononçant un sermon. Devinez-vous quel est l’embarras du bonhomme ? Ce n’est pas la difficulté littéraire qui l’arrête, ce n’est pas le souci de méditer un sujet, de composer un discours ; bien mieux, il ne sait pas même ce qu’on lui demande. Qu’est-ce qu’un sermon, s’il vous plaît ? Il va poser cette question ingénue à son voisin le pasteur protestant, et quand le pasteur lui a expliqué ce dont il s’agit, le pope supplie le pasteur de vouloir bien lui composer son homélie. Pourquoi pas en effet ? Le pasteur avait là une bonne occasion de faire entendre des paroles évangéliques devant une réunion d’hommes qui peut-être ne s’était jamais trouvée à pareille fête. Malheureusement le pasteur, chargé des intérêts religieux d’une commune allemande, ignorait la langue valaque, dont le pope se servait avec ses ouailles, et le prédicateur malgré lui fut obligé d’aller se pourvoir ailleurs. M. le baron de Berg tenait cette anecdote de la bouche même du pasteur qui y joue son rôle. Voici une autre histoire du même genre, qui aurait l’air d’une mauvaise plaisanterie, si M. de Berg ne l’avait puisée à de bonnes sources. La scène se passe dans une commune valaque où les moissons récentes, blés et luzernes, ont été souvent incendiées depuis plusieurs mois. Une femme, la propriétaire du domaine où ont eu lieu des sinistres, va trouver le pope, et le prie de sermonner sévèrement les fidèles à la première occasion. Le dimanche suivant, la foule remplit l’église, et le pope monte en chaire. « Mes amis, il vous arrive souvent de brûler les récoltes ; c’est une sottise, car il ne vous en revient aucun profit : volez plutôt un bœuf, au moins vous en tirerez avantage… — Halte-là ! » s’écrie la matrone indignée, et, prenant la place du malencontreux orateur, elle adresse à l’assemblée une vigoureuse mercuriale qui sauva, dit-on, les meules de blé sans compromettre les bœufs.

La position sociale des popes du Banat et la considération dont ils jouissent répondent exactement à la culture de leur esprit. Presque toujours chargé de famille avec un salaire très modique (on sait que les popes peuvent se marier et que les hauts dignitaires de l’église grecque sont seuls astreints au célibat), le pope de la campagne est obligé de se faire cultivateur pour nourrir sa femme et ses enfans. Il conduit la charrue, il mène paître ses bœufs, il sème, il coupe le blé ; c’est un paysan au milieu des paysans. Jusque-là rien de mieux, et quoi que puisse dire M. le baron de Berg, je me demande ce que cette vie patriarcale peut avoir de contraire au sacerdoce ; j’ai