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À Vienne et même à Prague, à Pesth, à Bude, le gouvernement autrichien peut remédier aux vices de son système administratif par le choix des hommes dont il se sert ; mais il n’a pas cette ressource dans les provinces reculées de l’empire : un fonctionnaire qui connaît sa valeur consentirait difficilement à s’exiler dans le Banat ou la Voyvodie. Il se pourrait même que tel employé, serviteur excellent dans les provinces allemandes de l’empire, fût absolument au-dessous de sa tâche au milieu des populations de l’Autriche orientale. « Dans le Banat, dit M. de Berg, un bon fonctionnaire doit savoir au moins quatre langues, l’allemand, le serbe, le hongrois, le valaque ; il serait même à désirer qu’il connût encore une autre langue slave, le slovaque ou le tchèque. » Des administrateurs si bien armés sont nécessairement rares, et cependant, s’il est vrai qu’on gouverne de loin et qu’on administre de près, comment administrer un pays dont on ne connaît pas la langue ? Que feront des maires, des baillis, des intendans, animés des meilleures intentions du monde, mais jetés tout à coup au milieu de Roumains, de Serbes, de Magyars, de Tchèques, de Bulgares, et privés de toute communication intellectuelle et morale avec les gens qui les entourent ? Le gouvernement autrichien n’a donc pas toute la liberté du choix ; il est forcé de prendre ses représentans un peu à l’aventure, et si l’on en juge par les récits de M. de Berg, il faut reconnaître qu’il subit de dures nécessités. Telles sont du moins les excuses alléguées par les défenseurs de l’administration viennoise. M. de Berg, malgré sa bonne volonté, ne se paie pas tout à fait de ces raisons. Après avoir exprimé son avis sur le moyen de remédier à un tel état de choses, après avoir donné ses conseils à l’Autriche sur la réforme de la bureaucratie, il s’écrie sans plus de façon : « Avec une presse libre, on ne verrait pas de tels scandales. »

Mais comment y aurait-il une presse libre, une presse indigène librement née du sol, dans une contrée où règne presque partout la plus profonde ignorance ? S’il y a des journaux dans le Banat, ils sont entre les mains de cette bureaucratie dont ils devraient dénoncer les méfaits et réprimer les usurpations. L’ancienne Autriche, qui ne se piquait pas de pousser au développement des sciences, à la propagation des hautes lumières, s’occupait du moins, comme toute l’Allemagne, de l’éducation du peuple. Rien de pareil dans le Banat et dans la Voyvodie. Ces paysans auxquels on applique encore la peine du bâton, on n’est pas trop pressé, cela se conçoit, de leur donner les premiers élémens d’une culture libérale. Il serait dangereux d’éveiller dans leurs esprits le sentiment de la dignité humaine. M. de Berg ne cesse de le répéter : ce qui manque ici, c’est l’instruction. « Rien de plus affligeant, s’écrie-t-il, pour un