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toutes ses ressources, elle devient elle-même impuissante. Nulle part ces misères n’ont été plus visibles qu’en Autriche depuis l’époque où le prince Schvarzenberg, jetant un défi arrogant aux nationalités de l’empire, organisa contre elles la plus oppressive centralisation qui fut jamais, et nulle part en Autriche les désastreuses conséquences de ce système n’ont éclaté plus manifestement que dans le Banat.

Avec les mille petites tyrannies locales produites par la bureaucratie, un inconvénient tout opposé, que M. le baron de Berg signale aussi avec beaucoup de force, c’est la négligence, l’incurie des employés, et par suite la profonde anarchie qui désole certains districts de cette province. Lorsqu’un agent du pouvoir central a intérêt à étouffer une affaire, les formalités sans nombre de l’organisation bureaucratique se prêtent complaisamment à ses desseins. Son rapport peut être bref et clair ; il le chargera de détails inutiles, il en fera une lecture pénible, assommante, impossible. Et quel voyage ces lourdes paperasses devront encore accomplir avant de parvenir de main en main jusqu’aux dépositaires de l’autorité suprême ! C’est principalement dans les affaires criminelles qu’on voit appliquer cette tactique. Dénoncer un crime, c’est se faire des ennemis et attirer sur soi des représailles ; il est plus prudent de fermer les yeux. Certes une telle accusation est grave, et nous hésiterions à la répéter, si celui qui la formule n’était un personnage dévoué aux intérêts de l’Autriche. M. le baron de Berg a recueilli sur les lieux mêmes des faits qui ne révèlent que trop clairement cette désolante anarchie. — Un jour, dit M. de Berg, dans un petit village, sur les frontières de la Transylvanie, la cabane d’un paysan est envahie tout à coup par une bande de malfaiteurs. On savait qu’il avait de l’argent chez lui. Le paysan résiste avec courage, et aucune menace ne peut le déterminer à livrer son trésor. Il se passe alors une scène horrible ; la femme, qui était grosse de plusieurs mois, est éventrée par ces scélérats, et le mari, suspendu au-dessus de l’âtre, est brûlé à petit feu. À la fin pourtant, la gendarmerie arrive : sept hommes de la bande sont arrêtés et conduits, à quelques lieues de là, chez le bailli du district. Que fait le bailli ? quel sentiment le domine ? Est-ce la peur des brigands ? est-ce le désir de dissimuler à l’autorité supérieure le scandaleux abandon d’un pays où de telles atrocités peuvent être commises à la clarté du soleil ? On ne saurait le dire ; ce qu’il y a de certain, c’est que les bandits rentrèrent paisiblement chez eux, et qu’il ne fut plus question de cette affaire.

Le plus grand mal, à ce qu’il paraît, n’est pas la lâcheté des fonctionnaires de l’empire dans ces contrées lointaines ; heureuses les populations du Banat lorsque leurs chefs, administrateurs ou magistrats,