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le joug les peuples d’un autre sang, Slaves, Saxons et Roumains, mais qui fait peser même sur les paysans hongrois les institutions iniques du moyen âge. En vain, dans la diète de 1847, la noblesse régénérée du pays a-t-elle pris l’initiative des réformes les plus libérales ; M. de Berg ne sait pas le premier mot de ces événemens. Les observations qu’il a recueillies dans la société hongroise auraient dû cependant le mettre sur la voie. En voici une dont le sens est assez clair : dans un village de la puszta, le voyageur, frappé de la bonne tenue du peuple, de la rustique élégance des habitations, de la culture intelligente et soigneuse dont les terres voisines portent la trace, en fait ses complimens à un fermier hongrois de la contrée, et il apprend de sa bouche que la population de ce village est surtout composée d’Allemands. « Les Allemands, je dois le reconnaître, dit le loyal Magyar, sont plus laborieux que mes compatriotes ; ils ont plus de zèle, plus d’instruction, un zèle plus soutenu, une instruction plus sûre… Une seule chose me déplaît chez eux, c’est qu’ils adoptent si promptement les mœurs hongroises, au point même de renoncer à leur nom. À peine installés chez nous, les émigrans venus d’Allemagne quittent leur vêtement national pour le costume hongrois. Quant à cela, passe encore : notre costume étant mieux approprié à notre climat, on comprend qu’ils le préfèrent au leur ; mais bientôt les voilà qui transforment leurs noms à l’aide de désinences magyares ; en toute chose enfin, dans ses mœurs, dans sa manière de vivre, l’Allemand n’a qu’une pensée, c’est de se rapprocher le plus possible du Hongrois. On dirait vraiment qu’il rougit de sa patrie, et voilà ce qui me déplaît. » Cela me déplut aussi, ajoute M. de Berg ; mais en adressant à ce propos des remontrances amères à toutes les colonies germaniques, en leur reprochant de perdre si vite au milieu des étrangers presque tout sentiment national, pourquoi oublie-t-il de remarquer la noble et libérale inspiration que révèlent les paroles du cultivateur hongrois ? Les hommes qui blâment les Allemands de ne pas savoir rester Allemands en Hongrie ne sont pas disposés sans doute à étouffer chez eux les peuples de race étrangère. La Hongrie moderne a appris bien des choses à l’école du malheur. Les haines de race, les prétentions hautaines ont disparu depuis longtemps chez les anciens oppresseurs des Slaves et des Roumains ; les Magyars savent respecter dans autrui ces droits nationaux dont ils ont eux-mêmes un sentiment si fier, et ce curieux récit de M. de Berg montre bien que le généreux esprit de la diète de 1847 a pénétré jusqu’au fond des campagnes.

Nous arrivons enfin au but véritable de ce voyage. En quittant Pesth, nous avons traversé Zsegled, Arad, Grosswardein, Debreczin,