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de mener à bien son enquête ? « Après des voyages de ce genre en Allemagne et dans les Alpes, dit M. le baron de Berg, j’avais appliqué ma méthode d’exploration à la Suède, à la Norvège et à la Finlande ; je résolus, l’automne dernier, de visiter de même le Banat, contrée presque inconnue chez nous, et qui offre pourtant l’intérêt le plus vif à quiconque porte ses regards dans l’avenir : n’est-elle pas manifestement appelée, ainsi que la Hongrie et les provinces autrichiennes du Danube, à jouer un grand rôle dans le développement futur de l’Europe ? Et ce rôle même, toutes ces contrées ne le joueraient-elles pas déjà, si elles avaient été administrées avec plus de sollicitude, au point de vue politique comme au point de vue social ? »

En se dirigeant vers le Banat, M. de Berg est obligé de traverser la Galicie, et dès le premier pas qu’il fait dans les contrées non allemandes de l’Autriche, quelques-unes des misères qu’il dévoilera plus tard en si grand nombre commencent à frapper ses yeux. La première de toutes, c’est l’insolence et l’égoïsme de la bureaucratie. Une armée d’employés de tous grades, occupés à se contrôler les uns les autres et faisant à grands frais une besogne insignifiante, tel est, selon M. de Berg, un des traits caractéristiques de l’administration autrichienne. Représentez-vous cette armée dans un pays conquis ; oisive ou à peu près, et poussée au mal par l’oisiveté, elle traitera avec une souveraine arrogance les peuples dont elle doit protéger les intérêts matériels et le développement moral. Voilà précisément ce qui se passe en Galicie. Ces paysans polonais si lestes, si agiles, qui vivent à cheval pour ainsi dire, d’où vient qu’ils ont l’air faux et rusé ? Pourquoi des physionomies si basses avec des allures si chevaleresques ? L’abaissement de cette noble race est une des plaies de l’Autriche. La servitude, partout dégradante, est aggravée ici par les habitudes brutales des autorités et de ceux qui règlent leur conduite sur ce modèle. Ce ne sont pas seulement les tribunaux de police qui condamnent les délinquans à la peine du bâton ; dans les moindres querelles, dans les plus légères discussions avec les Slaves de la campagne, l’Allemand a recours sans hésiter à ces procédés sommaires. Il semble que ce soit la chose la plus naturelle du monde. Battu par la main étrangère, le paysan polonais de la Galicie ne murmure même pas une parole de vengeance ; il baisse la tête et va demander à l’ivresse l’oubli de ses opprobres. Lorsqu’on lit les scènes de ce genre dont M. de Berg a été témoin, on comprend qu’à de certaines époques le gouvernement autrichien n’ait eu qu’à relâcher les liens du servage pour lancer des masses furieuses contre les propriétaires du sol, c’est-à-dire contre les hommes qui eussent dû être leurs chefs et leurs vengeurs,