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Le premier mérite d’une étoffe consiste, il nous semble, dans la beauté du tissu, dans le velouté ou le moiré des reflets, souvent même dans la richesse des plis. Or un tableau en tapisserie, imitant, à s’y méprendre, une peinture à l’huile, ne remplit plus son rôle d’étoffe ; il faut absolument le tendre sur une planche et l’encadrer comme l’original. À quoi bon alors se donner tant de mal pour faire avec de la soie et de la laine ce que l’on fait bien mieux et plus simplement avec un pinceau ? On conçoit assurément la possibilité de dessiner une tête, une figure, au moyen de lignes droites ; mais avec les cubes d’une mosaïque et les points de la tapisserie le trait, le contour ne saurait être ni rectiligne, ni régulièrement curviligne : il restera toujours dentelé. À une certaine distance, et lorsqu’on ne cherche que le décor, cet à-peu-près n’en vaut que mieux, particulièrement pour les fleurs et les ornemens, dont les contours n’ont rien d’absolu ; mais si vous allez au-delà, si vous luttez avec la peinture d’art, vous vous attaquez dès lors à une impossibilité. D’un autre côté, la surface de la tapisserie, loin d’être plane et unie comme la planche ou la toile sur laquelle on peint, est cannelée par les fils de la chaîne, et ces cannelures sont elles-mêmes striées par les fils de la trame, qui leur sont perpendiculaires. Il en résulte que cette surface présente des parties saillantes qui réfléchissent, la lumière et des sillons qui l’absorbent en partie ; sur cette toile filamenteuse, les lumières et les ombres ne sauraient avoir la force, la transparence et l’éclat qu’on obtient par les procédés de la peinture à l’huile. Il est aisé d’observer combien la disposition superficielle des tissus qui composent les fleurs naturelles en fait varier les nuances, suivant le côté dont la lumière les frappe. Il en est absolument de même pour les étoffes, dont le grain ou la trame est plus ou moins marqué ; c’est là ce qu’on appelle vulgairement le reflet. Ainsi, lorsque le jour frappe un satin blanc uni dans le sens de la trame, il parait gris et bleu ; dans l’autre sens, il est jaune cuivré. De deux plaques de cuivre semblables, polies dans deux sens contraires et exposées au même jour, l’une est rouge vif et l’autre est jaune pâle. C’est le cas peut-être ici de dire un mot sur les théories de la lumière, qui feront comprendre que ce n’est pas l’imagination qui nous entraîne à combattre le système suivi aux Gobelins.


III

Depuis la découverte fondamentale de Newton, on sait que toute coloration est produite par une décomposition de la lumière blanche, décomposition qui s’effectue, soit par réfraction comme dans le cas