Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effacées, rabattues, comme on dit en terme de tapissier, c’est-à-dire atténuées par du noir et privées par conséquent de cette fraîcheur de nuance qui est tout le charme d’une étoffe, car le véritable but à atteindre est précisément de conserver sous un dessin décoratif le caractère personnel de tissu souple et brillant, ce laisser-aller de la couleur qui ne cherche pas à dissimuler la trame, mais à montrer au contraire qu’elle est travaillée avec art et poussée au plus haut degré de perfection.

Toutefois il y eut un temps d’arrêt à ce système de haute école. Lorsque Colbert, en 1664, établit définitivement la compagnie des Indes, dont le génie de Richelieu avait déjà médité la création en 1626, notre commerce s’étendit jusqu’à la Chine. Bientôt les belles étoffes et les porcelaines de ces contrées nous arrivèrent et firent tout de suite l’admiration des artistes et de la cour. Aussi peut-on fixer à cette époque, c’est-à-dire au règne de Louis XV, le plus beau moment de notre fabrication de porcelaines et de tissus. La mode des chinoiseries, des toiles perses et indiennes, des soieries de Damas et de Lahore, des satins et pékins de la Chine brodés ou peints à la main, était devenue une sorte de fureur. Non-seulement les tissus et les bijoux, mais les éventails, les objets de toilette, et jusqu’aux formes des robes et aux coiffures, tout fut imité de l’Orient. La reine elle-même s’habilla comme une sultane, avec la poudre, les mouches, le rouge aux lèvres et aux joues, le noir au bord des yeux, l’aigrette et le turban sur la tête, le châle en ceinture et la robe à queue. Sous cette influence, les manufactures de Sèvres et des Gobelins firent des progrès rapides, surtout au point de vue de la couleur. Jamais ces produits du siècle de Louis XV ne furent dépassés. Les Watteau, les Boucher et leurs élèves étaient de véritables décorateurs. Les porcelaines et les tapisseries de cette école sont des modèles du genre. Nymphes et déesses, bergers et bergères, sont là dans tous leurs atours. Leur costume est-il rose, c’est avec du rose plus vif et du rouge que les plis et les ombres sont indiqués ; est-il bleu clair, c’est par du bleu plus foncé : jamais on ne voit salir la couleur avec du noir, jamais d’ombre vigoureuse. On ne cherchait qu’à plaire aux yeux par la fraîcheur des tons, sans essayer de les tromper par des fonds sombres, des ombres violentes qui percent la muraille et donnent aux figures un relief qui les fait sortir de l’étoffe. Le style, il est vrai, était moins noble qu’au temps passé ; mais le dessin n’en était pas moins pur, la scène moins bien composée, et la couleur, en restant harmonieuse, concourait avec les rideaux et les meubles à la décoration générale. En un mot, la condition première de laisser voir et comprendre le tissu était respectée. On pourrait faire à cette époque le reproche contraire à celui que nous adressons à la nôtre : alors la peinture à l’huile ressemblait