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Jusqu’à présent, l’effet des irrigations s’est plus particulièrement manifesté dans l’arrosage des prairies et des diverses plantes fourragères : or l’accroissement de la production des fourrages est en rapport direct avec la production et la consommation de la viande ; il doit en même temps amoindrir les chances de disette des grains en réduisant à de plus justes limites l’emploi, généralement exagéré dans nos campagnes, des nourritures farineuses. Les irrigations ouvrent donc une double voie à l’élévation de la puissance du sol : elles permettent de restreindre la culture des céréales qui l’épuisent et d’étendre la culture des plantes herbacées ou fourragères qui le fécondent.

Au reste ce ne sont pas seulement les eaux torrentielles des pluies écoulées par les vallons, les eaux des fleuves, des rivières lentes ou rapides, des sources naturelles, artificiellement jaillissantes ou recherchées dans les flancs des collines, qu’il s’agit d’aménager et de faire parvenir dans des canaux qui les distribuent en irrigations fécondantes. Il est encore d’autres ressources dont on devra tirer parti. Citons par exemple les eaux soutirées des terrains humides par la voie du drainage, et qui pourront servir, comme toutes les eaux douces, au dessalage des terrains chargés du résidu de l’évaporation des eaux de la mer, — puis celles qui, plus ou moins riches en substances minérales ou organiques assimilables par les plantes, s’écoulent en pure perte des usines, ou même vont répandre au loin l’insalubrité par les produits de leur fermentation putride et de leur évaporation spontanée. Enfin on peut utiliser les déjections animales liquides, qui de nos jours encore répandent des germes d’infection et de maladie dans certains grands cours d’eaux potables. En un mot on pourrait appliquer à l’arrosage et simultanément même à l’engrais des terres, suivant la nouvelle méthode Kennedy ou l’ancienne pratique flamande, toutes les eaux négligées ou actuellement nuisibles.

Une description succincte des moyens d’opérer ces irrigations spéciales mérite de fixer quelques instans notre attention. Tous les terrains que la mer, dans ses flux et reflux, dans les hautes marées ou les tempêtes, a périodiquement envahis retiennent de telles doses de sel marin, que toute végétation de nos plantes alimentaires ou fourragères y est devenue impossible. Les plantes marines seules peuvent y prospérer ; mais les faibles produits qu’on en tire se bornent aux résidus de leur complète incinération ; on obtient ainsi dans nos départemens méridionaux diverses soudes brutes, dites naturelles. À cette industrie peu lucrative, qui ne peut même en général offrir des soudes comparables à celles d’Alicante et de Ténériffe, on a substitué avec un grand avantage les cultures usuelles toutes les fois