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même de plus fortes proportions de sucs aqueux dans les plus jeunes organes comme dans les pousses nouvelles en voie de développement. Or, pour peu que les qualités de l’air ambiant deviennent desséchantes, une partie de l’eau, qui seule pouvait introduire dans la plante les substances nutritives du sol et qui rendait les tissus organiques turgescens et fermes, vient à s’évaporer, et laisse ces jeunes organismes amollis et fanés[1]. Il est donc nécessaire de pouvoir disposer d’irrigations abondantes, ou mieux encore de prévenir les sécheresses par une submersion momentanée du terrain. Alors tout devient propice à une rapide végétation ; l’élévation même de la température, si nuisible dans le premier cas, vient imprimer une activité plus grande à la vie des plantes. Quant aux moyens de réussir, dans un intervalle de temps peu considérable, à doter la France d’un système plus complet d’irrigation des terres arables, ils reposent évidemment sur l’emploi de grands capitaux. Le premier établissement exige en général de vastes emplacemens, des mouvemens de terrains très dispendieux, souvent des constructions massives, soit pour soutenir les terres en remblais, les parois des bassins ou les digues de retenue, soit pour construire les canaux de dérivation amenant à proximité des domaines irrigables les eaux des rivières prises à un niveau supérieur, soit enfin pour obtenir les eaux d’irrigation en les faisant surgir des profondeurs du sol par des puits forés qui vont atteindre les nappes d’eau, véritables rivières souterraines, interposées dans les sables entre les couches inclinées du terrain[2]. Parfois aussi l’eau courante des fleuves ou des rivières doit être empruntée à un niveau inférieur, et dans ce cas il faut l’élever, soit au moyen de machines hydrauliques que fait mouvoir le cours d’eau lui-même, soit à l’aide des machines à vapeur. Ces conditions plus ou moins onéreuses, que les récentes institutions de crédit agricole permettront de surmonter, étaient également imposées aux peuples anciens, qui nous ont légué de beaux spécimens de leurs importans travaux dans ce genre. En admirant dans nos provinces méridionales ces remarquables effets des irrigations, Arago, préoccupé de l’aménagement des eaux de la France, s’écriait qu’on ne devrait pas laisser écouler à la mer une seule goutte d’eau douce sans la faire servir à la nutrition des plantes.

  1. Un très grand nombre de faits ont prouvé que la dessiccation suffit pour suspendre ou anéantir la vie de tous les végétaux et de tous les animaux, sans même qu’il y ait la moindre lésion, la moindre déchirure dans les tissus.
  2. Les puits forés, remis en honneur chez nous sous le nom de puits artésiens ou sources artésiennes, et creusés en si grand nombre dans notre province de l’Artois, étaient en usage dès la plus haute antiquité : ce sont eux qui alimentent les sources superficielles qui coulent dans les oasis de l’Égypte.