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Certaines personnes, et je suis du nombre, je l’avoue, aiment à deviner un écrivain d’après ses œuvres, et cherchent volontiers dans les livres une image de l’auteur. Nous voulons croire que l’écrivain ressemble à ses écrits, et nous sommes douloureusement désappointés lorsque nous apprenons, lorsque nous découvrons que le miroir est infidèle, ou que l’image qu’il reflétait est obtenue par un art magique et ne répond à aucune personne réelle. Cette opinion, si honorable, si profondément enracinée dans le public, et qui est fondée sur les instincts les plus vrais de la conscience, mérite presque cependant de porter le nom de préjugé, tant elle reçoit de fréquens démentis ; mais nous aimons à informer ceux qui partagent cette croyance, et qui n’ont pu s’en guérir malgré l’expérience, qu’ils n’ont à craindre avec Mme Reybaud aucune déception de ce genre. L’aimable Provençale est tout à fait la femme que laissent soupçonner ses romans, et l’idéal que le lecteur a pu se former de sa personne ne souffrirait, j’en suis sûr, aucune atteinte de la connaissance intime de la réalité. Spirituelle, sensée, familière, elle était digne de vivre dans la compagnie des bonnes gens qu’elle a mis en scène, et rien n’empêche de croire en effet qu’elle a vécu avec eux. Certainement elle a aidé la pauvre baronne de Colobrières à rapiécer ses vieilles robes, et donné en son absence des ordres à la Rousse pour le maigre souper de la famille ; certainement elle a prêté la main à la réconciliation de la famille de Colobrières avec la famille Maragnon. Elle causait sans doute avec la tourière du couvent des Annonciades le jour où Félise vint frémissante frapper à la grille qu’elle avait cru ne plus voir s’ouvrir pour elle. Elle est, comme ses héros et ses héroïnes, modeste, patiente, sachant prendre la vie comme elle se présente et le vent comme il souffle. Pas plus qu’eux elle n’appartient à la race des abstracteurs de quintessence et des poursuivans de chimères. Elle sait combien le bonheur idéal est une friandise difficile à obtenir, et en femme pratique elle ne le conseille à personne et se borne à recommander le bonheur tout fait ou celui qu’on peut se faire avec les élémens qu’on a sous la main. La mélancolie lui est inconnue autant que la subtilité ; il n’y a pas de malheur qui lui paraisse inconsolable : elle admet volontiers que les tristesses ont une limite, et qu’on ne doit pas plus porter éternellement un chagrin qu’on ne porte éternellement un deuil. Pour tout dire, sa personne est en si parfaite harmonie avec ses écrits, que nous n’avons pas hésité à tracer d’elle ce léger croquis, et à le donner comme la conclusion la plus naturelle et la plus logique à la fois des pages que nous lui avons consacrées.


Émile Montégut.