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honnêtes qui ont déjà répondu oui avec empressement au programme de Mme Reybaud, — les plus remarquables de ses récits sont ceux qui racontent les folies sinistres et les crimes de l’amour. Au milieu de cette nombreuse famille de jeunes héros et de jeunes héroïnes, à la physionomie assurée et modeste, au cœur sage et tendre, qui ont tous l’air de ne pas mieux demander que de ne pas être des personnages de roman, quatre personnages se font distinguer par ces signes particuliers qui révèlent les êtres prédestinés au malheur, à la passion, et, pour tout dire, voués au roman. Donnons au lecteur leur signalement, afin qu’il puisse aller droit à eux, s’il en éprouve le désir, et qu’il puisse les reconnaître au milieu de la foule de leurs frères et de leurs sœurs. Le premier est un jeune gentilhomme, résultat d’une faiblesse maternelle, dont le visage doux et résigné s’illumine d’un rayon languissant semblable à l’agonie d’une espérance, le moine de Chaalis ; — le second, une jeune religieuse du couvent des Annonciades, fille d’un gentilhomme supplicié pour avoir obéi aux suggestions homicides d’un amour criminel, l’ardente Félise, qui entend chanter dans ses veines la sinistre musique du sang paternel. Cette autre est Misé Brun, la belle bourgeoise, dont les passions, jusqu’alors sommeillantes, s’éveillent pour ne plus se rendormir le jour où elle fait la rencontre d’un chef de bandes dont elle ignore le nom redouté. Enfin se présente la dernière et la plus étrange peut-être, la jeune baronne de Malepeire, âme vaine, imagination chimérique, troublée par la solitude et chauffée à blanc par les lectures dangereuses, qui, par un coup de tête insensé, s’unit à un paysan, se punit de son erreur en assassinant son mari, et finit ses jours dans la condition de servante. Les quatre récits où sont racontées les tristes histoires de ces personnes tranchent sur tous les autres d’une manière remarquable ; je les recommande spécialement à l’attention de ceux de nos lecteurs qui ne les connaîtraient pas encore, et au ressouvenir de ceux qui les connaissent. Ce sont quatre beaux récits, non plus seulement intéressans et amusans comme les autres œuvres de l’auteur, mais d’une lecture instructive, en ce sens qu’ils engagent à réfléchir et à rêver sur les passions de l’âme, et qu’ils peuvent ajouter quelque chose à nos connaissances psychologiques. Dans la douloureuse histoire du moine de Chaalis, on peut étudier l’impuissance des âmes prématurément brisées, leur résignation sans lumière et sans joie, toute semblable à un visage de saint qui aurait perdu son nimbe lumineux par un accident dont Dieu seul aurait le secret, et cette indifférence qui fait que tout suaire leur est bon pour s’y coucher et ensevelir leur léthargie morale. Lisez aussi l’histoire de Misé Brun, si vous voulez connaître vraiment les angoisses d’une honnête femme qui se sent progressivement envahie par le fléau de l’amour, et l’aspect