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roman qui soit un récit. Quiconque veut exceller dans cet art difficile du récit doit se garder de donner dans le travers contemporain, lequel consiste à décrire le caractère des personnages avant d’exposer leurs actions, et doit observer au contraire cette méthode à laquelle Mme Reybaud est restée constamment fidèle, qui laisse le caractère se former sous les yeux du lecteur par la lente accumulation des actes du personnage. La vérité morale ne perd rien d’ailleurs à l’observation de cette règle. Cachée pendant tout le cours du récit, elle se retrouve au dénoûment. Lorsque les passions sont allées jusqu’au bout d’elles-mêmes, ont révélé tout ce qu’elles contenaient en bien et en mal, la vérité morale apparaît pour sanctionner et pour conclure.

Le roman de Mme Reybaud, c’est donc le roman tel que le comprenaient nos pères, c’est l’ancien récit à la française, mais rajeuni et paré selon les modes nouvelles. Pour n’avoir aucune des prétentions du roman de date récente, il n’a cependant rien d’antique ni de suranné. Pour peu qu’on l’observe attentivement, on y remarque mille nuances qui accusent l’influence de doctrines littéraires qui étaient inconnues à nos pères. Dans les premiers récits de l’auteur par exemple, on sent l’influence des nouvelles écoles littéraires. Il s’y trouve une recherche quelquefois heureuse de la couleur locale et historique, qui accuse le voisinage des œuvres de l’école romantique. Une pointe de ce cosmopolitisme que nous portons tous en nous aujourd’hui se laisse aussi très distinctement apercevoir ; l’imagination de l’auteur ne tourne pas dans le cercle restreint où aimait à tourner l’imagination des conteurs d’autrefois ; elle est plus curieuse, plus ardente, plus mobile et voyageuse. Elle aime la poésie des temps passés, les paysages des contrées lointaines, les vieilles histoires dont les cloîtres conservaient le secret. Quoique la Provence soit avant tout sa terre natale et de prédilection, celle à laquelle elle aime toujours à revenir, celle qui l’inspire le mieux et qui lui a fourni ses plus belles histoires, — Misé Brun, Clémentine, le Cadet de Colobrières, Mademoiselle de Malepeire, — Mme Reybaud a fait plus d’une excursion à l’étranger et a gardé comme une teinte légère des mœurs et des passions qu’elle a traversées dans ses lectures. Elle a étudié l’Espagne et la littérature espagnole, et quelques accens de ces passions sérieuses et tenaces, inconnues aux populations légères et violentes de notre midi, se sont gravés ineffaçablement dans sa mémoire, qui en a été surprise et comme saisie. Son imagination provençale possède une sorte de sympathie instinctive pour tous les pays du midi ; sans sortir de sa Provence, elle les a devinés et elle s’est plu mainte fois à en décrire les paysages et les mœurs. C’est ainsi que sont nés tous ses gracieux récits