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— Adieu, Bamboche ! dit Manidette toute troublée, et, croisant son petit châle sur sa poitrine, elle fit quelques pas vers la masure du Sansouïre.

— Il doit y avoir une ferrade le 1er juillet au téradou du Brézimberg, promettez-moi d’y assister, dit le gardian en la retenant par la main.

— J’y viendrai, répondit simplement la saunière ; puis, se dégageant doucement de l’étreinte du jeune homme, elle se mit à glisser d’un pas léger jusqu’à la porte de sa demeure. Bamboche siffla son aïgue, qui paissait au milieu d’un marais voisin, et, s’élançant sur sa croupe, il partit pour aller retrouver ses taureaux au val de Psalmodi.

Manidette ne dormit guère, elle se répéta cent fois les paroles de Bamboche : elle hésitait, tant elle était heureuse, à en comprendre le véritable sens ; mais une crainte venait bientôt refouler sa joie. Cette crainte qui la rendait silencieuse sous les regards de sa mère et lui faisait renfermer dans son cœur son secret d’amour comme une faute, cette crainte qui la faisait pleurer de longues heures dans sa chambrette, c’était celle de l’opposition que ses parens feraient à son mariage. — Ils aimeront mieux me voir mourir fille dans un coin du Sansouïre que de me marier à un gardian, pensait-elle.

Le 1er juillet était cependant arrivé. De grand matin la jeune fille, debout devant son petit miroir, peigna ses longs cheveux, qu’elle arrangea en fins liserés sous sa blanche coiffe, elle brossa soigneusement son petit châle ; puis, toute pensive, elle descendit devant la porte. Il était encore de bonne heure ; la ferrade ne devait commencer qu’à midi, et comme le Brézimberg n’était éloigné que d’un kilomètre du Sansouïre, Manidette, voyant que le moment de partir n’était pas encore venu, s’assit sur le seuil de sa demeure et regarda le ciel avec inquiétude. Le soleil ne devait pas briller ce jour-là. De lourds nuages chassés par un vent aigu couraient dans l’espace comme de gigantesques flocons d’écume, tandis qu’une teinte grisâtre s’élevait sur toute la campagne. Enveloppé d’épaisses vapeurs, l’horizon ne laissait rien percer sous ces voiles ; ternes et sans reflets, les objets dessinaient vaguement leur profil sur un sol détrempé.

Debout sur les quéirels du salin, Berzile et Caroubie fermaient les écluses, étendaient de vastes paillassons sur les tables, abritaient les camelles sous des remparts de joncs, tâchaient enfin de mettre la récolte à l’abri de l’orage qui menaçait, tandis que, se traînant péniblement en dehors du logis, Fennète allait retirer les poissons du vivier et renfermer les volatiles. Préoccupée d’une seule idée, Manidette ne voyait rien de ce qui se passait autour d’elle ; son imagination la transportait au Sauvage, à la ferrade, près de Bamboche,