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harmonieusement associées n’annonce-t-il pas un Dieu, une providence attentive, un créateur qui a tiré le monde du néant, non par indifférence, encore moins par nécessité, mais par l’élan d’un amour égal à sa puissance infinie et à son infinie sagesse ? Comme Pythagore entendait la musique des sphères célestes, Leibnitz voit dans les espaces sans fin l’harmonie de ces millions de substances répandues sur tous les degrés de la vie. Qu’il est beau et grand, ce monde où de tels objets sont offerts à nos contemplations ! Un des principes de Leibnitz, c’est que dans l’œuvre du Créateur tout va à l’infini : infinité de vie, infinité de mouvement, de progrès, de perfectionnement ; immortalité de toutes les substances, surtout immortalité des âmes créées pour réfléchir la divine sagesse, immortalité des esprits « seuls faits à l’image de Dieu et quasi de sa race ou comme enfans de sa maison, puisque eux seuls le peuvent servir librement. » Un seul de ces esprits « ne vaut-il pas tout un monde ? Dieu tire infiniment plus de gloire des esprits que du reste des êtres, ou plutôt les autres êtres ne donnent que de la matière aux esprits pour le glorifier. »

« Les anciens philosophes, ajoute Leibnitz, ont fort peu connu ces importantes vérités. Jésus-Christ seul les a divinement bien exprimées, et d’une manière si claire et si familière que les esprits les plus grossiers les ont conçues. Ainsi son Évangile a changé entièrement la face des choses humaines. Il nous a donné à connaître le royaume des cieux ou cette parfaite république des esprits qui mérite le titre de cité de Dieu, dont il nous a découvert les admirables lois. Lui seul a fait voir combien Dieu nous aime et avec quelle exactitude il a pourvu à tout ce qui nous touche, qu’ayant soin des passereaux, il ne négligera pas les créatures raisonnables qui lui sont infiniment plus chères, que tous les cheveux de notre tête sont comptés, que le ciel et la terre périront plutôt que la parole de Dieu et ce qui appartient à l’économie du salut ne soient changés, que Dieu a plus d’égard à la moindre des âmes intelligentes qu’à toute la machine du monde… » Ils vivront donc, ces esprits, et Leibnitz, à la lumière de ses doctrines, aperçoit déjà quelque chose de la félicité de leur vie future. Ils vivront, non pas dans un état de contemplation oisive, qui nous rendrait stupides, mais dans un mouvement continu, puisque l’activité est leur essence, dans un essor perpétuel vers de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections, puisque leur loi est le progrès.

Leibnitz, comme une belle âme chrétienne de nos jours, repousse le paradis qui fait peur, et ce programme d’une carrière infinie réservée par Dieu à notre âme immortelle couronne magnifiquement un système rempli des plus sublimes vérités. Pourquoi faut-il qu’une