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Lorsqu’après avoir terrassé le dernier taureau, Bamboche, remontant sur son aïgue, vint recevoir les félicitations des spectateurs, toutes les jeunes filles se rangèrent sur son passage et battirent des mains. Toutes parlaient à la fois, c’était à qui obtiendrait une parole ou un regard du beau gardian. Seule silencieuse, Manidette n’était pas la moins émue. Calme et digne, Bamboche recevait froidement cette ovation. Habitué aux amours faciles, il dédaignait les naïves agaceries des fillettes. Il n’accorda un peu d’attention qu’à la belle cabaretière. Satisfaite de cette préférence, la sémillante Paradette présenta un verre d’alicante au gardian, qui le vida d’un trait. — à la santé de nos amours ! dit-il, et, suivi de son dondaïre, il partit comme un trait.

Cependant, la muselade étant finie, chacun s’apprêta à revenir. On harnacha les mulets, on attela les baudets aux charrettes ; les femmes relevèrent leurs jupes, les hommes reprirent leurs bâtons, les fillettes s’entassèrent dans les chariots, les enfans dans les corbeilles d’ânes, et on se mit en route. C’était un singulier coup d’œil que celui de ces caravanes se dirigeant de tous côtés au milieu des landes et des pinèdes, où, à défaut de sentier tracé, les regards exercés des paysans cherchaient de légers indices parmi les joncs et les bruyères.

Alabert avait rejoint enfin Manidette. Ils marchaient d’un bon pas vers le Sansouïre. Le douanier était triste et pensif, et la jeune fille tournait souvent la tête, comme si elle eût cherché à découvrir quelqu’un au milieu des marais.

Au sortir du téradou théâtre de la muselade, et sur la lisière de la lande du Sansouïre, on rencontre le Maset, pauvre masure composée de deux pièces : une espèce de hangar qui sert d’écurie et une cuisine ornée d’une énorme cheminée où rôtirait un bœuf. C’est là que les propriétaires de la manade donnent aux gardians le dîner traditionnel qui termine la journée de la muselade ou de la ferrade. Il fallait passer devant le Maset pour retourner au Sansouïre ; Alabert et Manidette y arrivèrent à la nuit tombante. La carriole de Paradette était dételée devant la porte. On venait, non de se lever de table, puisqu’on ne s’y était pas assis, les chaises étant un luxe inconnu dans ces masures, mais on avait achevé la dernière miette de pain et bu la dernière goutte de cognac. Les joues des gardians étaient violacées, leurs yeux étincelans. Séparé de ses grossiers compagnons, qui répétaient en chœur des refrains cyniques, Bamboche était accoudé avec Paradette sur le rebord de la fenêtre basse ouverte sur la lande. Manidette devina qu’ils se parlaient d’amour ; elle pâlit soudain, et comme elle chancelait, Alabert lui proposa d’entrer au Maset, afin d’y prendre un peu de repos.