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qui épuisait les restes de sa palette. Il obtenait ainsi des tons mieux fondus et plus d’harmonie ; mais il n’évitait pas une certaine malpropreté d’épiderme qui atteste la hâte. Dans les œuvres exécutées avec soin, ces taches disparaissent, le coloris devient plus pur, plus solide, plus sérieux. Les clairs-obscurs de Murillo sont d’un aspect particulier : ils ne sont ni dorés comme ceux de Titien, ni ténébreux comme ceux de Ribeira, ni transparens comme ceux du Corrége. Ils empruntent à la race brune de l’Andalousie des teintes bilieuses qui font une opposition mélancolique avec la blancheur laiteuse et mate des parties claires. Je parle surtout des figures de femmes : dans les figures viriles, il y a plus de convention. On sait déjà combien les anges de Murillo respirent la grâce et l’amour lutin : ils rappellent le matin de la vie, les heures d’oubli, la frivolité joyeuse et les rêves d’un âge qui porte encore dans ses yeux un reflet du ciel. Le charme païen du pinceau contribue à produire cette impression, autant que la naïveté des mouvemens ou l’expression des visages. Dans les vêtemens et les accessoires, le coloris a de l’éclat, quelquefois de la violence ; il a aussi ces tons neutres qui ressortent par les oppositions, ces effets assourdis qui se fondent par leur douceur même. Comme tous les hommes qui sont guidés par l’instinct plus que par la science, Murillo peut se tromper grossièrement, il peut aussi rencontrer des inspirations exquises. Le tableau de Sainte Justine et sainte Rufine est un modèle dans ce genre de coloris.

Jusqu’à quel point la couleur de Murillo peut-elle être comparée à la couleur des maîtres ? Les meilleures toiles de Murillo sont mêlées, dans le salon d’Isabelle, aux chefs-d’œuvre de toutes les écoles et soutiennent mal ce contact redoutable ; elles ont quelque chose de chaud, de séduisant, mais de commun. Rien ne nuit plus à Murillo que le voisinage de Velasquez, car il n’a pas, comme le peintre de Philippe IV, ce pinceau aristocratique, ce coloris imposant à force de vérité, ce frissonnement de l’air qui circule autour des personnages, ces touches fières, ces tons fins et choisis, qui chantent, mais n’éclatent pas, discrets s’ils sont vifs, éteints s’ils sont crus, vigoureux s’ils sont neutres, puissans par juxtaposition, pleins de valeurs relatives, d’assonances, et d’une poésie naturelle comme les vers de Shakspeare. Auprès de Velasquez, le coloris de Murillo a un air roturier, de l’épaisseur, un parfum de sacristie, des reflets qui ressemblent plutôt à la lumière d’une lampe qu’à la blancheur radieuse du jour. Dans l’art, les dons naturels sont beaucoup ; mais l’effort seul les transforme en qualités supérieures. Velasquez, dira-t-on, n’a pas connu ce labeur plus que Murillo, et d’ailleurs le génie espagnol est apathique par tempérament, violent par boutades, indolent par habitude, paresseux par plaisir. Aussi faut-il ajouter