Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immense. Cependant Murillo ne s’est pas mis en frais d’invention pour le remplir ; il a même abusé des ténèbres confuses qu’il emploie d’ordinaire, autant pour abréger sa tâche que pour faire ressortir les parties lumineuses. Saint Antoine est très beau ; les bras qu’il étend ont une grande éloquence, et font deviner que c’est la violence de la prière qui a produit le miracle.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser les conceptions de Murillo. Celle qui est au Louvre est une des plus grandes : on peut, d’après elle, se figurer les autres. Il y en a de plus belles cependant, où la Vierge touche davantage et est mieux peinte, car le visage de la madone du Louvre semble avoir été achevé avec un pinceau malpropre. Deux des conceptions du musée de Madrid, celle qui est à Séville et qu’on appelle la Perle, m’ont paru préférables. Le trait commun des œuvres de ce genre, où l’artiste a mis toute son âme, c’est d’exprimer la volupté. Peut-être Murillo sentait-il vaguement combien une pareille matière est délicate ; du moins il représente la Vierge aussi jeune que possible, afin que son âge annonce la chasteté, la candeur, l’ignorance du mystère qui s’accomplit. Malgré ce début prudent, il est bientôt entraîné sur la pente qui lui est chère. Il met tant d’ivresse dans les yeux humides et brillans de la jeune fille, tant de désordre dans sa chevelure, tant de feu sur ses lèvres, tant de plénitude dans son sein qui se soulève, tant d’aspiration passionnée dans toute son attitude, qu’au lieu de sauver le sujet, il en tire toutes les conséquences. Il s’oublie, cède à son tempérament, et par là se montre véritablement inspiré ; il atteint même un assez haut degré de poésie réaliste. Les petits chérubins qui entourent la Vierge contribuent, par leur pétulance folâtre, à nous transporter dans l’Olympe plutôt que dans le paradis. Certes le jour de la conception il dut y avoir fête au ciel ; le malheur veut que, si l’on changeait les attributs des anges, si l’on mettait entre leurs mains, au lieu de palmes ou de fleurs, des arcs, des flèches et des colombes, on aurait tout le cortège de Vénus. Ces délices de dévotion sensuelle plaisaient aux contemporains du peintre ; l’Andalousie se reconnaissait dans une religion ainsi traduite, et la Vierge était adorée comme si Dieu n’existait pas. L’inquisition n’avait garde de s’émouvoir de ce qu’approuvait l’ordre de Jésus. Les moyens étant sanctifiés par le but, le trouble des sens profitait au salut des âmes. C’est pourquoi Murillo a fait tant de conceptions.

J’ai parlé plusieurs fois des types andalous que Murillo rend avec tant de fidélité. Comme la race actuelle est composée d’élémens très divers, il est nécessaire d’ajouter quel est l’élément qu’il a choisi, car il y a les Ibères aux traits secs, accusés, anguleux, les gitanos