Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cadre ; s’il était très grand, le nombre des anges augmentait et de nouveaux nuages s’amoncelaient encore. Au contraire s’agissait-il d’une conception : la Vierge, vêtue d’une robe blanche et d’un manteau bleu, est au centre d’une auréole lumineuse, les pieds posés sur le croissant de la lune. Selon la dimension de la toile, elle est seule, soutenue par quelques chérubins, ou par une armée de chérubins ; en même temps les rayons et les nuées diminuent ou s’étendent. On ne saurait dire combien de conceptions l’artiste a peintes, non pas avec un égal succès, mais évidemment avec une égalité parfaite d’humeur et d’imagination. C’est ainsi que les imprimeurs tirent sans se lasser mille épreuves de la même page. Murillo ne s’est jamais complètement défait des souvenirs de sa jeunesse et des habitudes de la feria.

Parmi les apparitions, on admire saint Bernard en extase devant la sainte Vierge. Sa tête est belle, et les yeux caves, les plis qui sillonnent les joues en contractant la bouche, lui donnent un véritable accent d’ascétisme. Le froc blanc est d’un éclat, d’une souplesse de ton, d’une harmonie que Zurbaran, le peintre des frocs par excellence, n’a point atteintes. Derrière le saint, la table, le banc, l’écritoire, la crosse, les livres ouverts, sont exécutés avec un soin digne des Flamands. La Vierge découvre sa mamelle et la montre à saint Bernard en la pressant du doigt, allusion à quelque docte écrit sur ce sujet. Ce tableau est dans le salon d’Isabelle, non loin du saint Hildephonse, archevêque de Tolède, œuvre du même genre, mais plus distinguée. Saint François d’Assise, dont les macérations sont converties en fleurs par le Christ et sa mère, qui lui apparaissent, est une composition originale, bien différente des atrocités qu’on prête aux peintres espagnols, et que le doux Murillo eût été incapable de jamais tracer. Il a donné à saint François une expression si amoureuse, une extase si sensuelle, qu’on cherche derrière les nuages s’il n’y a pas une Andalouse à son balcon. Les amours, je voulais dire les anges qui accompagnent la Vierge, sont les plus jolis espiègles du monde ; ils chantent, rient, voltigent, font la culbute et bombardent le saint avec les roses qu’ils tiennent à pleines mains. Au musée de Séville, on voit saint Félix de Cantalicie berçant dans ses bras le petit Jésus, que la Vierge vient d’y déposer. L’enfant-Dieu est rose, frais, beau comme le rêve d’une jeune mère, c’est l’éclat du printemps, avec une teinte de délices mystiques. À quelques pas, un saint Antoine tient un lis, tandis que l’enfant Jésus, assis sur sa bible, le caresse. Un amant ne fait pas des yeux plus langoureux à sa maîtresse. Je citerai enfin le saint Antoine de Padoue, immense cadre qui remplit une des chapelles de la cathédrale de Séville, et qui est vanté surtout parce qu’il est