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héroïque, l’autre onctueux, plein de charité ; son petit saint Jean, son Christ enfant avec l’agneau, réunis ou séparés, et copiés sur ces beaux enfans andalous dont les yeux sont expressifs avant l’âge, dont l’air déjà sérieux cache la fougue précoce. Murillo était père : qui peut dire combien de fois ses deux fils ont posé devant son œil attendri ? Ses Vierges sont partout ; je ne parle en ce moment que de celles qu’il représente assises, tenant l’enfant Jésus, et qui reproduisent un modèle à peu près constant, car Murillo était peu épris de la variété. Les plus vantées sont la Vierge aux langes, qui avait été payée 100,000 francs par le roi Louis-Philippe, et la Vierge au rosaire, qui est à Madrid. On a vu à Paris la Vierge aux langes ; je ne la décrirai donc point, bien que je l’aie retrouvée récemment à Séville dans le palais de San-Telmo. La Vierge au rosaire lui est bien supérieure en beauté, et c’est, si je ne me trompe, le chef-d’œuvre de Murillo. Ce jour-là, il a eu son heure de génie et s’est élevé au-dessus de lui-même. La noblesse et la suave pureté des lignes s’allient à la richesse du coloris, et l’Andalouse de Séville n’a plus servi seule de modèle, mais bien aussi quelque madone de, Raphaël. L’enfant-Dieu est admirable de grandeur et de majesté. Son œil dilaté, plein de rayons, commande à l’univers ; son petit corps piétine les genoux de la Vierge et se redresse en maître. En même temps le cou de la jeune mère et ses mains sont admirablement étudiés ; quoique ennoblie par l’artiste, la nature s’y montre tout entière. Le plus souvent Murillo ne s’écarte pas du type dont il s’est pénétré : il ne pouvait même s’en défaire quand il cessait de peindre des vierges. Il donne par exemple les mêmes traits à sainte Justine'' et à sainte Rufine, patronnes de Séville, lorsqu’il les représente soutenant la Giralda, la tour arabe qui sert de beffroi à la cathédrale. Cette monotonie n’empêche pas le tableau d’être un de ses meilleurs.

Ce que les monastères demandaient surtout à Murillo, c’étaient des apparitions miraculeuses, propres à exalter leur saint patron. Ce que les églises lui commandaient plus souvent encore, c’étaient des conceptions immaculées, car ce dogme plaisait principalement à la piété des Espagnols. Dans l’un et l’autre cas, l’artiste avait son plan fait et des procédés très simples. S’agissait-il d’une apparition : il représentait un moine ou un évêque à genoux ; la Vierge et le Christ se montraient à lui dans leur gloire, et la Vierge présentait au moine soit un vêtement brodé de sa main, soit une fleur, ou bien elle lui donnait son fils à baiser, ou bien elle lui révélait quelque mystère sur lequel il voulait écrire un traité. Si le tableau était petit, il n’y avait ni anges ni nuages ; s’il était grand, de petits chérubins portaient la Vierge et des nuages enroulés remplissaient le