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assez mal désignée sous le terme vague de légitimité. C’est sur ce terrain que se plaçait et que demeura constamment Royer-Collard une fois qu’il eut compris comment la monarchie anglaise décrétée par la charte pouvait s’adapter à la société française. Sur l’état de celle-ci, il n’hésita jamais ; sur le problème du gouvernement, il mit un peu plus de temps à arrêter ses idées, et ce n’est guère que vers 1817 ou 1818 qu’il entra résolument dans la voie au terme de laquelle était l’adresse des 221.

Parmi ceux qu’il eut à combattre, et dont la dissidence fut pour lui le sujet de l’étonnement le plus douloureux, fut M. de Serre, qui, partisan non moins déclaré du système représentatif, avait toujours douté de la possibilité de lui donner pour base une société fondée sur le principe de l’égalité civile, et que les violences d’une opposition extra-légale finirent par pousser dans les voies d’une véritable réaction. Ce dissentiment, d’abord faible, devait un jour éclater en rupture entre deux amis qu’on avait dû croire unis par une communauté inaltérable de principes. M. de Serre, en présentant une loi qui devait rendre plus restrictives les garanties contre la presse, avait dit ces mots remarquables : « La démocratie, chez nous, est partout pleine de sève et d’énergie ; elle est dans l’industrie, dans la propriété, dans les lois, dans les souvenirs, dans les hommes, dans les choses. Le torrent coule à pleins bords dans de faibles digues qui le contiennent à peine. » Royer-Collard en prit occasion d’avouer la démocratie au lieu de la déplorer, de s’en prévaloir au lieu de s’en plaindre. « A mon tour, dit-il, prenant comme je le dois la démocratie dans une acception purement politique et comme opposée ou seulement comparée à l’aristocratie, je conviens que la démocratie coule à pleins bords dans la France « telle que les siècles et les événemens l’ont faite… Les classes moyennes se sont si fort approchées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leurs têtes, il leur faudrait beaucoup descendre… Les classes moyennes ont abordé les affaires publiques ; elles ne se sentent coupables ni de curiosité ni de hardiesse d’esprit pour s’en occuper ; elles savent que ce sont leurs affaires. Voilà notre démocratie telle que je la vois et la conçois ; oui, elle coule à pleins bords dans cette belle France, plus que jamais favorisée du ciel. Que d’autres s’en affligent ou s’en courroucent, pour moi je rends grâces à la Providence de ce qu’elle a appelé aux bienfaits de la civilisation un plus grand nombre de ses créatures[1]. »

L’orateur concluait que l’égalité des droits, c’est le vrai nom de la démocratie, que la démocratie était le fait qui dominait aujourd’hui

  1. Voir les développemens dans le discours entier du 22 janvier 1822.